Plusieurs théoriciens ont essayé de comprendre quel était le lieu du spectateur.
*Gaëtan Picon : « L’œuvre, dès qu’elle rencontre un regard, appelle irrésistiblement la conscience critique. L’œuvre ne peut pas être éprouvée esthétiquement si nous nous limitons à elle comme la perception se limite à son objet. L’expérience esthétique suppose la mise en relation de l’œuvre avec autre chose qu’elle-même, un jeu complexe de références et de rapports. Si je ne dépasse pas l’œuvre, si je reste prisonnier de sa réalité immédiate, si je ne dispose pas pour la contempler de l’observation d’une pensée et d’une culture, l’œuvre sera pour moi un objet de la nature, et non pas une œuvre d’art. » Il s’agit non pas de se limiter à l’objet en tant qu’objet immédiat du regard, mais de considérer sa part d’invisibilité. C’est la confrontation avec d’autres œuvres qui permet l’ouverture critique.
*André Gide : « Toute connaissance que n’a pas précédé une sensation m’est inutile. » Dans le domaine esthétique, il y a la connaissance, mais l’analyse se justifie à partir du moment où il y a une rencontre avec l’œuvre, et donc la naissance d’une sensation.
*Jean Dubuffet : « L’art est toujours là où on ne l’attend pas ».
*Agnès Minazzoli : L’art révèle des formes dans la profondeur de la surface, comme une surface d’eau. « Ce que l’on nomme la patience de l’art ne serait autre que cette capacité de laisser affleurer à la surface de la conscience ses images latentes, sommeillantes, jusqu’à ce qu’elles prennent forme dans les mots. »
D’un point de vue théorique, la place du spectateur est très sollicitée. Cela vient du fait que le plus souvent, l'artiste accorde lui aussi une place très importante à son spectateur.
*Les époux Arnolfini, Van Eyck
Deux conceptions s’opposent quant à la fonction du miroir (et pas seulement dans ce tableau) :
*Pierre Francastel : le miroir ne fait que dupliquer et de fait refermer l’espace.
*Pour Panosky, le miroir ouvre sur un infini à l’intérieur de l’œuvre, un espace qui montre que le spectateur peut avoir un autre point de vue sur l’œuvre (l’espace se double par une présence de dos).
*L’atelier du peintre, Vermeer
Le peintre entre dans le corps de l’œuvre : un personnage peint de dos. Il n’est pas le reflet de Vermeer à proprement parler, mais porte en lui une mise en abîme de la fonction du regard dans l’œuvre, alors même que le rideau qui s’ouvre suggère que l’on est dans une forme de représentation.
*La leçon de musique, Vermeer.
La mise en scène du corps de l’artiste dans l’œuvre est médiatisée par la présence du professeur de musique. On distingue dans le miroir un morceau du chevaleret du peintre : celui-ci ne fait ici que dupliquer l’espace mis en scène. Le regard que porte le professeur sur la jeune fille est à la fois celui du peintre et du spectateur.
Virtuellement, le regard s’inscrit à l’intérieur d’une œuvre par différents endroits, par l’intermédiaire de différents personnages.
*Jeune femme assoupie, Vermeer.
Par l’intermédiaire de l’encadrement d’une porte, on nous montre un miroir qui ne reflète rien, à part une forme noire. Cette forme est à mettre en relation avec la figure de la femme assoupie, qui par son mouvement, crée une sorte de basculement virtuel vers la gauche de la toile, et donc vers le hors champ. La place du spectateur est ici particulière. En amorce, on a une chaise dont l’assise est hors champ : on représente une place qui est retirée au spectateur. A noter que les techniques radiographiques mettent en lumière la présence d’un personnage à la place du miroir, personnage qui regardait vers le spectateur. Le fait que maintenant, il y ait un miroir noir face au spectateur montre un autre face à face, mais un face à face de disparition.
En ce sens, l’œuvre est l’attente de l’œuvre (cf. Maurice Blanchot): « Toute image pourrait être dite non seulement structurée comme un seuil, mais également comme une crypte ouverte, ouvrant son fond, mais le retirant, se retirant, mais nous attirant. » Georges Didi-Huberman.
*Portrait dans le miroir, Denis Roche
L’œuvre est perçu comme une surface, mais comme une surface elle-même perçue non seulement comme un miroir qui vient inscrire un face à face avec le propre regard, mais également comme un seuil, le lieu d’intérieur et de l’extérieur de l’œuvre.
*Les liaisons dangereuses, René Magritte
L’œuvre est perçue comme un miroir qui apporte un autre point de vue.
*Michael Fried : théorie de l’absorbement et facingness
A défaut d’identifier de grands artistes, Fried va essayer de comprendre la modernité en tant qu’elle donne au spectateur une nouvelle place. Selon lui, ce qui différencie la peinture moderne du reste, c’est-ce qu’il appelle l’absorbement : au XVIIIe, on représente des personnages absorbés par leurs actions. On parle de théâtre de l’action (cf. Greuze et La piété filiale : le tableau se referme sur une action qui se présente à nos yeux et concentre le regard // Le baiser envoyé (1765) : si le personnage ouvre son regard sur l’extérieur, cet extérieur est directement mis en relation avec quelque chose de très narratif à l’intérieur de l’œuvre. Ici, la lettre). Il distingue l’absorbement du facingness, dont il situe les prémisses chez Manet. Le projet de la modernité est d’inscrire une surface qui devienne réfléchissante. Le regard change de direction (Manet et Le Balcon : les personnages sont des spectateurs, ce qui inverse le lieu de l’histoire vers notre regard // Emile Zola : technique de recouvrement des espaces participe à l‘effet d‘aplanissement. Le mur est pratiquement face au spectateur, alors même que la mise en abîme d‘œuvres secondaires à l‘intérieur de l‘œuvre met en lumière des effets de miroir // [i]Un bar aux Folies Bergères[/i] : représenter un miroir en tant que tel). On n’est plus tant dans un théâtre de l’action que dans un théâtre de la présentation.
*Gregory Crewdson
Comment resaisir les éléments théoriques énoncés? A l’intérieur de la toile, différents éléments viennent s’organiser et montrent que le regard est invité à s’inscrire dans l’image : le fauteuil, le miroir… L’artiste photographe offre des lieux au regard du spectateur. Ce qu’il apparait intéressant de repérer, c’est qu’il y a à la fois un personnage absorbé par ses pensées (classicisme qui referme l’espace), mais que le spectateur est également convoqué de façon frontale.
*Gaëtan Picon : « L’œuvre, dès qu’elle rencontre un regard, appelle irrésistiblement la conscience critique. L’œuvre ne peut pas être éprouvée esthétiquement si nous nous limitons à elle comme la perception se limite à son objet. L’expérience esthétique suppose la mise en relation de l’œuvre avec autre chose qu’elle-même, un jeu complexe de références et de rapports. Si je ne dépasse pas l’œuvre, si je reste prisonnier de sa réalité immédiate, si je ne dispose pas pour la contempler de l’observation d’une pensée et d’une culture, l’œuvre sera pour moi un objet de la nature, et non pas une œuvre d’art. » Il s’agit non pas de se limiter à l’objet en tant qu’objet immédiat du regard, mais de considérer sa part d’invisibilité. C’est la confrontation avec d’autres œuvres qui permet l’ouverture critique.
*André Gide : « Toute connaissance que n’a pas précédé une sensation m’est inutile. » Dans le domaine esthétique, il y a la connaissance, mais l’analyse se justifie à partir du moment où il y a une rencontre avec l’œuvre, et donc la naissance d’une sensation.
*Jean Dubuffet : « L’art est toujours là où on ne l’attend pas ».
*Agnès Minazzoli : L’art révèle des formes dans la profondeur de la surface, comme une surface d’eau. « Ce que l’on nomme la patience de l’art ne serait autre que cette capacité de laisser affleurer à la surface de la conscience ses images latentes, sommeillantes, jusqu’à ce qu’elles prennent forme dans les mots. »
D’un point de vue théorique, la place du spectateur est très sollicitée. Cela vient du fait que le plus souvent, l'artiste accorde lui aussi une place très importante à son spectateur.
*Les époux Arnolfini, Van Eyck
Deux conceptions s’opposent quant à la fonction du miroir (et pas seulement dans ce tableau) :
*Pierre Francastel : le miroir ne fait que dupliquer et de fait refermer l’espace.
*Pour Panosky, le miroir ouvre sur un infini à l’intérieur de l’œuvre, un espace qui montre que le spectateur peut avoir un autre point de vue sur l’œuvre (l’espace se double par une présence de dos).
*L’atelier du peintre, Vermeer
Le peintre entre dans le corps de l’œuvre : un personnage peint de dos. Il n’est pas le reflet de Vermeer à proprement parler, mais porte en lui une mise en abîme de la fonction du regard dans l’œuvre, alors même que le rideau qui s’ouvre suggère que l’on est dans une forme de représentation.
*La leçon de musique, Vermeer.
La mise en scène du corps de l’artiste dans l’œuvre est médiatisée par la présence du professeur de musique. On distingue dans le miroir un morceau du chevaleret du peintre : celui-ci ne fait ici que dupliquer l’espace mis en scène. Le regard que porte le professeur sur la jeune fille est à la fois celui du peintre et du spectateur.
Virtuellement, le regard s’inscrit à l’intérieur d’une œuvre par différents endroits, par l’intermédiaire de différents personnages.
*Jeune femme assoupie, Vermeer.
Par l’intermédiaire de l’encadrement d’une porte, on nous montre un miroir qui ne reflète rien, à part une forme noire. Cette forme est à mettre en relation avec la figure de la femme assoupie, qui par son mouvement, crée une sorte de basculement virtuel vers la gauche de la toile, et donc vers le hors champ. La place du spectateur est ici particulière. En amorce, on a une chaise dont l’assise est hors champ : on représente une place qui est retirée au spectateur. A noter que les techniques radiographiques mettent en lumière la présence d’un personnage à la place du miroir, personnage qui regardait vers le spectateur. Le fait que maintenant, il y ait un miroir noir face au spectateur montre un autre face à face, mais un face à face de disparition.
En ce sens, l’œuvre est l’attente de l’œuvre (cf. Maurice Blanchot): « Toute image pourrait être dite non seulement structurée comme un seuil, mais également comme une crypte ouverte, ouvrant son fond, mais le retirant, se retirant, mais nous attirant. » Georges Didi-Huberman.
*Portrait dans le miroir, Denis Roche
L’œuvre est perçu comme une surface, mais comme une surface elle-même perçue non seulement comme un miroir qui vient inscrire un face à face avec le propre regard, mais également comme un seuil, le lieu d’intérieur et de l’extérieur de l’œuvre.
*Les liaisons dangereuses, René Magritte
L’œuvre est perçue comme un miroir qui apporte un autre point de vue.
*Michael Fried : théorie de l’absorbement et facingness
A défaut d’identifier de grands artistes, Fried va essayer de comprendre la modernité en tant qu’elle donne au spectateur une nouvelle place. Selon lui, ce qui différencie la peinture moderne du reste, c’est-ce qu’il appelle l’absorbement : au XVIIIe, on représente des personnages absorbés par leurs actions. On parle de théâtre de l’action (cf. Greuze et La piété filiale : le tableau se referme sur une action qui se présente à nos yeux et concentre le regard // Le baiser envoyé (1765) : si le personnage ouvre son regard sur l’extérieur, cet extérieur est directement mis en relation avec quelque chose de très narratif à l’intérieur de l’œuvre. Ici, la lettre). Il distingue l’absorbement du facingness, dont il situe les prémisses chez Manet. Le projet de la modernité est d’inscrire une surface qui devienne réfléchissante. Le regard change de direction (Manet et Le Balcon : les personnages sont des spectateurs, ce qui inverse le lieu de l’histoire vers notre regard // Emile Zola : technique de recouvrement des espaces participe à l‘effet d‘aplanissement. Le mur est pratiquement face au spectateur, alors même que la mise en abîme d‘œuvres secondaires à l‘intérieur de l‘œuvre met en lumière des effets de miroir // [i]Un bar aux Folies Bergères[/i] : représenter un miroir en tant que tel). On n’est plus tant dans un théâtre de l’action que dans un théâtre de la présentation.
*Gregory Crewdson
Comment resaisir les éléments théoriques énoncés? A l’intérieur de la toile, différents éléments viennent s’organiser et montrent que le regard est invité à s’inscrire dans l’image : le fauteuil, le miroir… L’artiste photographe offre des lieux au regard du spectateur. Ce qu’il apparait intéressant de repérer, c’est qu’il y a à la fois un personnage absorbé par ses pensées (classicisme qui referme l’espace), mais que le spectateur est également convoqué de façon frontale.