Corpus 3.
Récurrence du corpus : l’expression en amont.
Dans le visible, on trouve les institutions. Elles sont des formes visibles, définitives, fixées, symptomatiques de quelque chose qui est en amont de l’institution, et qu’elle indique : elles sont un phénomène, la mise en lumière de quelque chose qui est avant lui. Pour prospecter cet amont, il s’agit d’utiliser l’étymologie (du grec, etumos : le sens vrai).
*l’expression sens vrai suppose des sens mis en lumière et des sens primordiaux. Plus on va en amont du langage, plus on va en amont de l’institution, plus on trouve des sens ambivalents. Cela fait réfléchir sur la notion de communication. « Le sens vrai des mots est un sens pluriel » R. Barthes.
*alêtheia : vérité. Dans alêtheia, il y a lêthé, l’oubli => dans toute institution, y compris celle du langage, il y a une part profonde qui est oubliée, soit, dans l’Antiquité, assimilée. Le sens premier est diffus dans la réalité, mais toujours présent, toujours ambivalent. Ce qui est vrai, autrement dit, est aussi formé à partir de l’oubli. Le vrai est aussi incertitude. L’incertitude fait partie des vérités. Ce quelque chose qui s’oublie, qui est parmi la réalité visible, n’a pas de nom défini. Il n’a pas de sens arrêté, unilatéral. Les Grecs appelaient ça « pharmacos », à la fois le remède et le poison.
A Rome, une divinité a réussi à perdurer, depuis la fondation de la ville (753 avant JC), et a réussi à se faire nommer dans tous les rites religieux. Avant lui, on ne parle quasiment pas de mythologie romaine, on ne cite pas les mythes comme en grec. Pourtant, toute incantation commence, à Rome, par l’incantation à un dieu, qui est moins un dieu qu’un esprit. La première croyance est donc en la nature (=>animiste cf. Avatar). Ces esprits sont tout ce qui nous entoure (la foudre, l’eau, le vent…). Une fois de plus, on est en amont de la réalité. Le dieu est Janus Bifrons (ou Quadrifrons), qui renvoie à certaines divinités indiennes, eux aussi représentés en dualité avec eux-mêmes. Janus Bifrons est l’esprit des carrefours, celui qui ouvre. Il est aussi le vrai et le faux, le mâle et la femelle, le passé et l’avenir, la guerre et la paix (cf. les portes du temple après l’institution du culte ouvertes en temps de paix, fermé en temps de guerre). Janus Bifrons, c’est la ventilation, l’alternance, la plurilatéralité qui fait que nous ne voyons pas la réalité tant que nous la voyons que d’un point de vue (cf. Accident at the corner ou Deathproof).
*le shaman présocratique qui ne devine pas l’avenir mais prédit le passé. Il interprète ce qui s’est passé (cf. Le Fou de L’Assassin Royal), met en lumière les contrastes indispensables à la réalité. On ne peut avoir du vivant que si l’on a du bien et du mal, du sérieux et du grotesque, du sublime et du ridicule (cf. la préface de Cromwell).
Cela renvoie à la notion de speira, de respiration. En amont de la religion, il y a de la respiration, de la souplesse, de l’ambivalence. Tout doit être orienté vers une multiplicité : la réalité n’est pas unilatérale.
*cf. Héraclès au croisement des carrefours : le mythe ne se prononce pas sur le choix d’Héraclès. Il doit rester dans le doute.
De fait, en amont de la représentation, on a l’informe, ce qui n’est pas représenté (cf. les musulmans et les juifs qui refusent la représentation du divin).
*cf Mamie Watta, qui primordialement n’était qu’un esprit des eaux sans formes, sans sexe, sans nom.
*En 390 avant JC, les romains subissent la première invasion gauloise. Juste avant, une voix se fait entendre à un plébéien. Comme le Sénat n’est constitué que d’aristocrates, on ne l’écoute pas. Mais une fois les gaulois installés, on se tourne vers le plébéien et on lui donne raison : un dieu nous avait bien prévenu. Ce dieu, on l’appelle Auis Locutius ou Aius Loquens, autrement dit Dire. On le nomme institutionnellement d’un mot qui veut dire parole. Or en grec, mutos (mythe) signifie parole, et logos (dont on a fait la logique) veut également dire parole. Mythologie = parole. Le mythe ne s’étudie pas, il se respire. Nous sommes nous-mêmes des mythes vivants.
*la comédie est quelque chose qui est émerge des comais, le village. La comédie est le cri des villageois. De même, la tragédie, c’est le chant (l’eido) du bouc (du bouc émissaire sacrifié à Dionysos). En grec, la loi, le droit juridique se dit nomos, qui primordialement, signifie aussi le chant. Autrement dit, avant l’institution du droit, il y a le rite, le droit coutumier, celui du sang.
*Extrait d’Antigone de Sophocle.
Antigone s’oppose au pouvoir de Créon au nom des « ta nomina agrapta kapshalê theôn » : « les lois non écrites et infaillibles des Dieux ». Autrement dit, en amont de la loi écrite des hommes, il y a la loi des Dieux, soit la loi du sang. C’est en sens pluriel (ce n’est pas la loi, mais les lois). En amont des institutions, c’est la transe qui s’exprime.
-le Mara Barata de l’Inde : nom qui signifie le grand barde. En amont de ce grand poème, il y a tous les bardes, tous les aèdes. Vyassa, l’auteur présumé du poème fixé plus tard, signifie le Compilateur. Autrement dit, avant le Mara Barata, les poèmes sont déjà là, en amont.
= > Tout ce qui est de l’ordre de l’institué n’est pas le commencement.
*Le licteur à Rome.
Un licteur est une escorte consulaire. Il porte un faisceau. Licteur, élection, législateur, tout cela vient du grec legueïen, qui a donné logos qui veut dire parole. Legueïen signifie dire, dicter la loi. Cependant, le sens premier de legeueïen est « rassembler les os ». Le deuxième sens primordial du mot (l’un n’est pas avant l’autre, attention), c’est « rassembler le blé en gerbe » => faire des faisceaux ou des fagots de blé. Par la suite, legueïen va signifier sélectionner (cueillir) par la parole, soit dire. En amont du dire, il y a donc quelque chose de profondément lié à l’usage, le fait de rassembler, de tisser. En Inde, le dieu Varuna est le dieu lieur, celui qui ligote les éléments.
-Les premières lois sont des lois tissées (cf. les Axonès d’Athènes). En amont de ces immenses métiers à loi, on a encore le legueïen, le tissage. C’est le même principe pour les tambours à prières bouddhistes, qui permettent à celle-ci de s’exprimer quand ils tournent.
On est aux antipodes du monothéisme, et même du polythéisme. La croyance primordiale est certainement un animisme.
La fondation de Rome fait intervenir la gémellité. Dès le début, il n’y pas de sens unique, mais deux hommes. C’est le sacrifice de Remus qui vient de légitimer la fondation de Rome par son frère Romulus. Les deux frères sont là pour dire que la vérité n’est pas unique. Romulus fait un pomerium : il creuse un sillon dans lequel on construira le premier rempart de Rome. Ce sillon, on n’a pas le droit de le franchir en arme, ce qui fait Remus. De là, Romulus prend la décision de le tuer. Au départ cependant, on est dans le ligotage de la ville, on la rassemble dans un sillon, et on la noue institutionnellement en lui donnant un nom.
-Romulus vient vraisemblablement d’un ancien nom qui signifie la louve. Romulus est donc sûrement un totem. Lorsque Tite Live fixe l’histoire de Rome, et malgré son statut d’historien, il est obligé d’en appeler au mythe. Il répond à une commande de Auguste, le premier empereur, qui après la mort de Jules César et la guerre civile qui suit, veut redonner une cohésion à la nation romaine. Il commence par rebâtir tous les temples (Auguste, de augur, l’homme saint), puis il assainit les lois. Il commande ensuite une histoire de Rome à Tite Live, et une version poétique, L’Enéide de Virgile. Tite Live crée des héros nationaux, mais dans lesquels les romains se reconnaissent totalement. Il n’y a donc pas de distinction entre le mutos et le logos. Il n’y a donc pas non plus à faire de dichotomie entre la raison et la passion (cf. le début du Discours de la mééthode). Au départ, mutos est un synonyme de logos. C’est au IV avant JC que Platon est ses disciples vont imposer une distinction.
On a découvert il y a dix ans une pierre sur le site de Rome : la pierre noire (lapis niger). C’est un des premiers sanctuaires de Rome. Elle porte une inscription sur laquelle il est question de bœufs qu’il ne faut pas dételer quand on passe devant le sanctuaire, le lieu magique (un bœuf dételé bouse).
Alexandre le Grand avait eu vent d’un Oracle qui disait : quiconque défera le nœud gordien sera maître de l’Asie. Alexandre défait le nœud à coup d’épée et devient conquérant de l’Asie, et non maître de l’Asie : il ne l’a pas assimilée. Le but aurait été de mettre du jeu dans ce nœud pour cultiver une culture. En tranchant le nœud, il ne met pas de l’air, il empêche l’air.
Dans nos vies d’hommes et de femmes, si on affirme les choses, si on veut dire des choses certaines, on se foire. La vie réelle ne peut se plier aux certitudes. Lorsque l’on représente quelque chose, il faut garder en tête que ce que l’on verra de la représentation, c’est notre vie. La seule personne qui compte dans la vie, c’est moi.
Récurrence du corpus : l’expression en amont.
Dans le visible, on trouve les institutions. Elles sont des formes visibles, définitives, fixées, symptomatiques de quelque chose qui est en amont de l’institution, et qu’elle indique : elles sont un phénomène, la mise en lumière de quelque chose qui est avant lui. Pour prospecter cet amont, il s’agit d’utiliser l’étymologie (du grec, etumos : le sens vrai).
*l’expression sens vrai suppose des sens mis en lumière et des sens primordiaux. Plus on va en amont du langage, plus on va en amont de l’institution, plus on trouve des sens ambivalents. Cela fait réfléchir sur la notion de communication. « Le sens vrai des mots est un sens pluriel » R. Barthes.
*alêtheia : vérité. Dans alêtheia, il y a lêthé, l’oubli => dans toute institution, y compris celle du langage, il y a une part profonde qui est oubliée, soit, dans l’Antiquité, assimilée. Le sens premier est diffus dans la réalité, mais toujours présent, toujours ambivalent. Ce qui est vrai, autrement dit, est aussi formé à partir de l’oubli. Le vrai est aussi incertitude. L’incertitude fait partie des vérités. Ce quelque chose qui s’oublie, qui est parmi la réalité visible, n’a pas de nom défini. Il n’a pas de sens arrêté, unilatéral. Les Grecs appelaient ça « pharmacos », à la fois le remède et le poison.
A Rome, une divinité a réussi à perdurer, depuis la fondation de la ville (753 avant JC), et a réussi à se faire nommer dans tous les rites religieux. Avant lui, on ne parle quasiment pas de mythologie romaine, on ne cite pas les mythes comme en grec. Pourtant, toute incantation commence, à Rome, par l’incantation à un dieu, qui est moins un dieu qu’un esprit. La première croyance est donc en la nature (=>animiste cf. Avatar). Ces esprits sont tout ce qui nous entoure (la foudre, l’eau, le vent…). Une fois de plus, on est en amont de la réalité. Le dieu est Janus Bifrons (ou Quadrifrons), qui renvoie à certaines divinités indiennes, eux aussi représentés en dualité avec eux-mêmes. Janus Bifrons est l’esprit des carrefours, celui qui ouvre. Il est aussi le vrai et le faux, le mâle et la femelle, le passé et l’avenir, la guerre et la paix (cf. les portes du temple après l’institution du culte ouvertes en temps de paix, fermé en temps de guerre). Janus Bifrons, c’est la ventilation, l’alternance, la plurilatéralité qui fait que nous ne voyons pas la réalité tant que nous la voyons que d’un point de vue (cf. Accident at the corner ou Deathproof).
*le shaman présocratique qui ne devine pas l’avenir mais prédit le passé. Il interprète ce qui s’est passé (cf. Le Fou de L’Assassin Royal), met en lumière les contrastes indispensables à la réalité. On ne peut avoir du vivant que si l’on a du bien et du mal, du sérieux et du grotesque, du sublime et du ridicule (cf. la préface de Cromwell).
Cela renvoie à la notion de speira, de respiration. En amont de la religion, il y a de la respiration, de la souplesse, de l’ambivalence. Tout doit être orienté vers une multiplicité : la réalité n’est pas unilatérale.
*cf. Héraclès au croisement des carrefours : le mythe ne se prononce pas sur le choix d’Héraclès. Il doit rester dans le doute.
De fait, en amont de la représentation, on a l’informe, ce qui n’est pas représenté (cf. les musulmans et les juifs qui refusent la représentation du divin).
*cf Mamie Watta, qui primordialement n’était qu’un esprit des eaux sans formes, sans sexe, sans nom.
*En 390 avant JC, les romains subissent la première invasion gauloise. Juste avant, une voix se fait entendre à un plébéien. Comme le Sénat n’est constitué que d’aristocrates, on ne l’écoute pas. Mais une fois les gaulois installés, on se tourne vers le plébéien et on lui donne raison : un dieu nous avait bien prévenu. Ce dieu, on l’appelle Auis Locutius ou Aius Loquens, autrement dit Dire. On le nomme institutionnellement d’un mot qui veut dire parole. Or en grec, mutos (mythe) signifie parole, et logos (dont on a fait la logique) veut également dire parole. Mythologie = parole. Le mythe ne s’étudie pas, il se respire. Nous sommes nous-mêmes des mythes vivants.
*la comédie est quelque chose qui est émerge des comais, le village. La comédie est le cri des villageois. De même, la tragédie, c’est le chant (l’eido) du bouc (du bouc émissaire sacrifié à Dionysos). En grec, la loi, le droit juridique se dit nomos, qui primordialement, signifie aussi le chant. Autrement dit, avant l’institution du droit, il y a le rite, le droit coutumier, celui du sang.
*Extrait d’Antigone de Sophocle.
Antigone s’oppose au pouvoir de Créon au nom des « ta nomina agrapta kapshalê theôn » : « les lois non écrites et infaillibles des Dieux ». Autrement dit, en amont de la loi écrite des hommes, il y a la loi des Dieux, soit la loi du sang. C’est en sens pluriel (ce n’est pas la loi, mais les lois). En amont des institutions, c’est la transe qui s’exprime.
-le Mara Barata de l’Inde : nom qui signifie le grand barde. En amont de ce grand poème, il y a tous les bardes, tous les aèdes. Vyassa, l’auteur présumé du poème fixé plus tard, signifie le Compilateur. Autrement dit, avant le Mara Barata, les poèmes sont déjà là, en amont.
= > Tout ce qui est de l’ordre de l’institué n’est pas le commencement.
*Le licteur à Rome.
Un licteur est une escorte consulaire. Il porte un faisceau. Licteur, élection, législateur, tout cela vient du grec legueïen, qui a donné logos qui veut dire parole. Legueïen signifie dire, dicter la loi. Cependant, le sens premier de legeueïen est « rassembler les os ». Le deuxième sens primordial du mot (l’un n’est pas avant l’autre, attention), c’est « rassembler le blé en gerbe » => faire des faisceaux ou des fagots de blé. Par la suite, legueïen va signifier sélectionner (cueillir) par la parole, soit dire. En amont du dire, il y a donc quelque chose de profondément lié à l’usage, le fait de rassembler, de tisser. En Inde, le dieu Varuna est le dieu lieur, celui qui ligote les éléments.
-Les premières lois sont des lois tissées (cf. les Axonès d’Athènes). En amont de ces immenses métiers à loi, on a encore le legueïen, le tissage. C’est le même principe pour les tambours à prières bouddhistes, qui permettent à celle-ci de s’exprimer quand ils tournent.
On est aux antipodes du monothéisme, et même du polythéisme. La croyance primordiale est certainement un animisme.
La fondation de Rome fait intervenir la gémellité. Dès le début, il n’y pas de sens unique, mais deux hommes. C’est le sacrifice de Remus qui vient de légitimer la fondation de Rome par son frère Romulus. Les deux frères sont là pour dire que la vérité n’est pas unique. Romulus fait un pomerium : il creuse un sillon dans lequel on construira le premier rempart de Rome. Ce sillon, on n’a pas le droit de le franchir en arme, ce qui fait Remus. De là, Romulus prend la décision de le tuer. Au départ cependant, on est dans le ligotage de la ville, on la rassemble dans un sillon, et on la noue institutionnellement en lui donnant un nom.
-Romulus vient vraisemblablement d’un ancien nom qui signifie la louve. Romulus est donc sûrement un totem. Lorsque Tite Live fixe l’histoire de Rome, et malgré son statut d’historien, il est obligé d’en appeler au mythe. Il répond à une commande de Auguste, le premier empereur, qui après la mort de Jules César et la guerre civile qui suit, veut redonner une cohésion à la nation romaine. Il commence par rebâtir tous les temples (Auguste, de augur, l’homme saint), puis il assainit les lois. Il commande ensuite une histoire de Rome à Tite Live, et une version poétique, L’Enéide de Virgile. Tite Live crée des héros nationaux, mais dans lesquels les romains se reconnaissent totalement. Il n’y a donc pas de distinction entre le mutos et le logos. Il n’y a donc pas non plus à faire de dichotomie entre la raison et la passion (cf. le début du Discours de la mééthode). Au départ, mutos est un synonyme de logos. C’est au IV avant JC que Platon est ses disciples vont imposer une distinction.
On a découvert il y a dix ans une pierre sur le site de Rome : la pierre noire (lapis niger). C’est un des premiers sanctuaires de Rome. Elle porte une inscription sur laquelle il est question de bœufs qu’il ne faut pas dételer quand on passe devant le sanctuaire, le lieu magique (un bœuf dételé bouse).
Alexandre le Grand avait eu vent d’un Oracle qui disait : quiconque défera le nœud gordien sera maître de l’Asie. Alexandre défait le nœud à coup d’épée et devient conquérant de l’Asie, et non maître de l’Asie : il ne l’a pas assimilée. Le but aurait été de mettre du jeu dans ce nœud pour cultiver une culture. En tranchant le nœud, il ne met pas de l’air, il empêche l’air.
Dans nos vies d’hommes et de femmes, si on affirme les choses, si on veut dire des choses certaines, on se foire. La vie réelle ne peut se plier aux certitudes. Lorsque l’on représente quelque chose, il faut garder en tête que ce que l’on verra de la représentation, c’est notre vie. La seule personne qui compte dans la vie, c’est moi.