*Lettre à Sura
La vérité d’une situation ne passe pas forcément par la logique ou la connaissance, mais parfois par le trop, le détour. Pline le Jeune est connu pour ses recherches scientifiques sur les volcans. Il s’est intéressé à tous les phénomènes scientifiques; c’est notamment grâce à lui que l’on sait ce qui s’est passé à Pompéi. Par conséquent, le texte ci-contre est assez inhabituel. L'auteur s’adresse ici à Sura, qui est une sorte d’enseignant sceptique.
Le fantôme est un détour qui permet d’accéder à une connaissance. Pline demande ici son avis à Sura pour affirmer ou confirmer son propre raisonnement sur le fantôme, topos à l’origine de nombreuses superstitions. Le texte commence par le mot « loisir ». Le loisir en latin se dit otium, et dépasse largement les limites du loisir tel que nous le connaissons. En fait, le loisir est ici un retrait, c’est une façon de se retirer temporairement des affaires (au sens les plus commun du terme : tout ce qui concerne la vie publique). C’est un temps de recentrage sur soi, qui se fait la nuit quand on ne vit plus publiquement, ou à la campagne dans sa villa. Pour désigner cette vie publique, le latin emploie le terme « negotium » (littéralement, ce qui n’est pas l’otium, ce qui est le négoce (les affaires mais aussi, l’activité politique, la gestion de la maison)). On fait donc encore à l’époque de Pline, quelque chose qui est de l’ordre d’un retrait salutaire où l’on a besoin de prendre du recul (et non pas des vacances, au sens moderne du terme = vacances sont encore des satisfactions négociales : on part en vacances autant parce qu‘on en a envie, que parce qu‘on a envie de montrer la valeur sociale que cela suppose) par rapport à ses affaires pour mieux les reprendre par la suite. C’est un temps de recul où l’on peu réfléchir à soi.
=> dans le texte, l’achat de la maison et la provocation de l’autorité magistrale sont tout deux de l’ordre du negotium. Le troisième negotium est la correspondance entre les deux hommes.
Le texte démarre par une dialectique : on va provoquer un battement entre un demandeur et un éventuel donneur, entre celui qui raconte l’histoire et celui qui l’écoute, étant entendu que tôt ou tard, le rapport sera inversé. La lettre ne débute pas précisément par l’histoire du fantôme de Pline : dans l’antiquité, on ne raconte jamais le commencement mais on entre directement dans le récit. L’auteur raconte des histoires de visions, des histoires de songes (des histoires de trop, de détour (cf. Scipion et Le voyageur et la mort). Par la biais de la Mort, on a une vision de la Vie. Ces visions, ces récits, ces songes, sont là pour dire ‘tu vas mourir’, et constituent donc une invitation à profiter au maximum de l’existence : cultiver l’otium pour tenter d’approcher de cette question fondamentale : ‘connais toi toi-même’. Le Carpe diem est une invitation non pas à dissiper sa vie mais à se recentrer sur soi (cf. Le cercle des poètes disparus).
« jugeant de l’avenir par le passé » : encore la notion de retrait. L’avenir, c’est aussi se tourner constamment vers ce qui vient de se passer (cf. croissance végétale : la plante pousse en puisant dans ses racines). L’Oracle par exemple n’est pas tant celui qui prédit l’avenir que celui que révèle dans le passé ce dont vous avez besoin pour avancer.
Athénodore (le cadeau d’Athéna, déesse de l’esprit, de la sagesse. Soit c‘est un homme de logique, qui va essayer de réfléchir avec sa raison sur un cas, soit c‘est un homme de sagesse qui ne va pas dénigrer le phénomène) arrive dans un environnement déjà installé : la maison hantée a sa réputation. Il suit la peur, la superstition, en achetant la maison et en s’y installant. Tout le développement se construit en 3 étapes :
-l’apparition sensorielle : le phénomène (de phaïno : apparaitre en évidence) (cf. différence entre apparaître et voir). La description faite est très stoïcienne (on s’adresse à un sceptique). Athénodore est maître de lui-même : on est dans le cas du studium, le loisir studieux, centré sur ses pensées. Le phénomène se manifeste progressivement, et le philosophe reste impassible (terme clef dans le stoïcisme, puisqu’il a trait à l’ataraxie => l’absence des passions). Le fantôme est juste derrière le philosophe, et ce dernier reste concentré sur son travail, jusqu’au moment où il se retourne (skeptomai en grec = sceptique. Le sceptique est celui qui se retourne, qui se détourne non pas de l’objet de la superstition, mais de la logique, de la raison). Il va choisir de suivre le fantôme (qui n‘est pas le terme de Pline : en grec, il emploie idolum (en grec, eïdolon = le reflet), et donc accepter de se détourner.
*Dans un deuxième temps, le philosophe fait un signe : rien ne passe par les mots, mais plutôt par un langage primordial (soma sema). Le philosophe fait signe, et le fantôme également.
*Dans un troisième temps, le philosophe suit le spectre et fait face à l’akedeutos, le négligeant et le négligé (ici, l’absence de rites funéraires). Nous somme faits pour accomplir toutes sortes de rites, y compris les rites funéraires. Ce que découvre Athénodore, c’est ce rite qu’il doit accomplir, pour le fantôme, mais surtout pour lui. Nous sommes des êtres de rites, des êtres de mythes : nous sommes nés pour séduire et raconter des histoires. Ce qu’indique le philosophe stoïcien au sceptique (celui qui peut se détourner), c’est l’idée que fondamentalement je fais ce pourquoi je suis fait à partir du moment où j’accomplis des rites. Il ne s’agit pas de raisonner, il s’agit de résonner : je suis un être d’écho, un indicateur. Il ne s’agit donc pas de n'obéir qu'à la raison ou qu’à la passion, mais de faire avec les deux, et d’être à l’écoute de ce qui nous définit : cette aptitude à remplir des mythes.
Le récit s’achève sur l’idée d’un « je me dis à autrui ». On a ici une vertu assez primordiale de Rome : la fides. La piétas c’est l’idée de faire confiance aux Dieux ; la fides c’est l’idée de faire confiance en général (pas seulement aux Dieux) : je te suis avec l’idée que j’ai quelque chose à apprendre de moi. L’idée d’indication est absolument fondamentale dans ces deux vertus : « Il ne faut ni dire ni penser/cacher mais indiquer » (Héraclite). C’est la fonction, selon Héraclite, de l’Oracle. L’Oracle fait apparaitre une autre notion fondamentale à la société humaine : le Monstre (celui qui montre, qui démontre) (cf. Elephant Man, David Lynch). A l‘origine d‘une réalité, il y a toujours un indicateur, qui est un monstre (cf. [i]Les Noces rebelles[/i], scène du repas avec le fou). En mythologie, le monstre est aussi le boiteux (le clochard, celui qui boite) (cf. Œdipe, les pieds enflés, qui fait partie de la famille des Labdecides, du grec lambda, la lettre boiteuse). Le boiteux est celui par lequel le scandale arrive. La Pythie elle, l'Oracle, est une transe (cf. texte du corpus sur le Phèdre de Platon).
La vérité d’une situation ne passe pas forcément par la logique ou la connaissance, mais parfois par le trop, le détour. Pline le Jeune est connu pour ses recherches scientifiques sur les volcans. Il s’est intéressé à tous les phénomènes scientifiques; c’est notamment grâce à lui que l’on sait ce qui s’est passé à Pompéi. Par conséquent, le texte ci-contre est assez inhabituel. L'auteur s’adresse ici à Sura, qui est une sorte d’enseignant sceptique.
Le fantôme est un détour qui permet d’accéder à une connaissance. Pline demande ici son avis à Sura pour affirmer ou confirmer son propre raisonnement sur le fantôme, topos à l’origine de nombreuses superstitions. Le texte commence par le mot « loisir ». Le loisir en latin se dit otium, et dépasse largement les limites du loisir tel que nous le connaissons. En fait, le loisir est ici un retrait, c’est une façon de se retirer temporairement des affaires (au sens les plus commun du terme : tout ce qui concerne la vie publique). C’est un temps de recentrage sur soi, qui se fait la nuit quand on ne vit plus publiquement, ou à la campagne dans sa villa. Pour désigner cette vie publique, le latin emploie le terme « negotium » (littéralement, ce qui n’est pas l’otium, ce qui est le négoce (les affaires mais aussi, l’activité politique, la gestion de la maison)). On fait donc encore à l’époque de Pline, quelque chose qui est de l’ordre d’un retrait salutaire où l’on a besoin de prendre du recul (et non pas des vacances, au sens moderne du terme = vacances sont encore des satisfactions négociales : on part en vacances autant parce qu‘on en a envie, que parce qu‘on a envie de montrer la valeur sociale que cela suppose) par rapport à ses affaires pour mieux les reprendre par la suite. C’est un temps de recul où l’on peu réfléchir à soi.
=> dans le texte, l’achat de la maison et la provocation de l’autorité magistrale sont tout deux de l’ordre du negotium. Le troisième negotium est la correspondance entre les deux hommes.
Le texte démarre par une dialectique : on va provoquer un battement entre un demandeur et un éventuel donneur, entre celui qui raconte l’histoire et celui qui l’écoute, étant entendu que tôt ou tard, le rapport sera inversé. La lettre ne débute pas précisément par l’histoire du fantôme de Pline : dans l’antiquité, on ne raconte jamais le commencement mais on entre directement dans le récit. L’auteur raconte des histoires de visions, des histoires de songes (des histoires de trop, de détour (cf. Scipion et Le voyageur et la mort). Par la biais de la Mort, on a une vision de la Vie. Ces visions, ces récits, ces songes, sont là pour dire ‘tu vas mourir’, et constituent donc une invitation à profiter au maximum de l’existence : cultiver l’otium pour tenter d’approcher de cette question fondamentale : ‘connais toi toi-même’. Le Carpe diem est une invitation non pas à dissiper sa vie mais à se recentrer sur soi (cf. Le cercle des poètes disparus).
« jugeant de l’avenir par le passé » : encore la notion de retrait. L’avenir, c’est aussi se tourner constamment vers ce qui vient de se passer (cf. croissance végétale : la plante pousse en puisant dans ses racines). L’Oracle par exemple n’est pas tant celui qui prédit l’avenir que celui que révèle dans le passé ce dont vous avez besoin pour avancer.
Athénodore (le cadeau d’Athéna, déesse de l’esprit, de la sagesse. Soit c‘est un homme de logique, qui va essayer de réfléchir avec sa raison sur un cas, soit c‘est un homme de sagesse qui ne va pas dénigrer le phénomène) arrive dans un environnement déjà installé : la maison hantée a sa réputation. Il suit la peur, la superstition, en achetant la maison et en s’y installant. Tout le développement se construit en 3 étapes :
-l’apparition sensorielle : le phénomène (de phaïno : apparaitre en évidence) (cf. différence entre apparaître et voir). La description faite est très stoïcienne (on s’adresse à un sceptique). Athénodore est maître de lui-même : on est dans le cas du studium, le loisir studieux, centré sur ses pensées. Le phénomène se manifeste progressivement, et le philosophe reste impassible (terme clef dans le stoïcisme, puisqu’il a trait à l’ataraxie => l’absence des passions). Le fantôme est juste derrière le philosophe, et ce dernier reste concentré sur son travail, jusqu’au moment où il se retourne (skeptomai en grec = sceptique. Le sceptique est celui qui se retourne, qui se détourne non pas de l’objet de la superstition, mais de la logique, de la raison). Il va choisir de suivre le fantôme (qui n‘est pas le terme de Pline : en grec, il emploie idolum (en grec, eïdolon = le reflet), et donc accepter de se détourner.
*Dans un deuxième temps, le philosophe fait un signe : rien ne passe par les mots, mais plutôt par un langage primordial (soma sema). Le philosophe fait signe, et le fantôme également.
*Dans un troisième temps, le philosophe suit le spectre et fait face à l’akedeutos, le négligeant et le négligé (ici, l’absence de rites funéraires). Nous somme faits pour accomplir toutes sortes de rites, y compris les rites funéraires. Ce que découvre Athénodore, c’est ce rite qu’il doit accomplir, pour le fantôme, mais surtout pour lui. Nous sommes des êtres de rites, des êtres de mythes : nous sommes nés pour séduire et raconter des histoires. Ce qu’indique le philosophe stoïcien au sceptique (celui qui peut se détourner), c’est l’idée que fondamentalement je fais ce pourquoi je suis fait à partir du moment où j’accomplis des rites. Il ne s’agit pas de raisonner, il s’agit de résonner : je suis un être d’écho, un indicateur. Il ne s’agit donc pas de n'obéir qu'à la raison ou qu’à la passion, mais de faire avec les deux, et d’être à l’écoute de ce qui nous définit : cette aptitude à remplir des mythes.
Le récit s’achève sur l’idée d’un « je me dis à autrui ». On a ici une vertu assez primordiale de Rome : la fides. La piétas c’est l’idée de faire confiance aux Dieux ; la fides c’est l’idée de faire confiance en général (pas seulement aux Dieux) : je te suis avec l’idée que j’ai quelque chose à apprendre de moi. L’idée d’indication est absolument fondamentale dans ces deux vertus : « Il ne faut ni dire ni penser/cacher mais indiquer » (Héraclite). C’est la fonction, selon Héraclite, de l’Oracle. L’Oracle fait apparaitre une autre notion fondamentale à la société humaine : le Monstre (celui qui montre, qui démontre) (cf. Elephant Man, David Lynch). A l‘origine d‘une réalité, il y a toujours un indicateur, qui est un monstre (cf. [i]Les Noces rebelles[/i], scène du repas avec le fou). En mythologie, le monstre est aussi le boiteux (le clochard, celui qui boite) (cf. Œdipe, les pieds enflés, qui fait partie de la famille des Labdecides, du grec lambda, la lettre boiteuse). Le boiteux est celui par lequel le scandale arrive. La Pythie elle, l'Oracle, est une transe (cf. texte du corpus sur le Phèdre de Platon).