1) Une dramaturgie de la réception
Diderot et Lessing ont en commun de se situer du point de vue du spectateur, un spectateur dont ils saisissent l'expérience concrète et qu'ils ne considèrent plus seulement comme un horizon théorique comme c'était le cas, aussi bien dans La Poétique d'Aristote, que dans les textes du XVIIème siècle. Cela ne veut pas que c'est seulement au XVIIème siècle que l'on commence à se soucier du spectateur mais simplement que c'est au XVIIIème siècle que l'expérience du spectateur est saisie de manière concrète. Auparavant, aussi bien dans La Poétique d'Aristote que dans les textes du XVIIème siècle, la question du spectateur est abstraite car on n'envisage pas vraiment les conditions réelles de réception de la pièce de théâtre.
2) De la vraisemblance au réalisme
Au XVIIIème siècle, se joue un changement de régime de représentation. On passe d'un régime de représentation qui a été dominé par la vraisemblance à un régime de représentation qui est dominé par la volonté de représenter le monde extérieur. Nous nous situons toujours aujourd'hui dans le régime du réalisme.
Ce qui rend une histoire vraisemblable, au théâtre comme au cinéma, c'est l'enchaînement logique des actions, c'est à dire que la vraisemblance repose sur un critère de cohérence interne à la pièce de théâtre ou au récit.
A partir du XVIIIème siècle, le théâtre semble d'avantage s'ouvrir au monde extérieur, cela ne signifie pas que le critère de vraisemblance est brutalement abandonné mais s'y ajoute un soucis de représentation du monde réel/contemporain. Diderot met en particulier l'accent sur la nécessité pour le théâtre de mieux représenter la nature.
Le théâtre du XVIIIème siècle est aussi marqué par une volonté de représenter la société contemporaine ou de représenter la société du spectateur. Cette ouverture au monde extérieur va ensuite se traduire par une ouverture à l'Histoire, celle-ci se joue moins au XVIIIème siècle qu'au XIXème siècle, moins dans le drame bourgeois que dans le drame romantique qui lui succèdent.
A partir du XIXème siècle, nombre de pièces de théâtre vont prendre pour sujet une histoire non plus antique, comme c'était le cas dans le théâtre du XVIIème siècle, mais une histoire beaucoup plus récente. Concrètement, cela veut dire qu'à partir du XVIIIème siècle, vont encrer sur la scène de théâtre des personnages nouveaux et des personnages qui ne sont plus seulement nobles ou pas pour reprendre la distinction qui structure l'opposition entre tragédie et comédie, donc des personnages qui ne sont plus seulement nobles ou pas, mais des personnages qui ont une caractérisation socioéconomique plus précise, des personnages qui ont un métier et qui ont une condition sociale et qui pour cette raison peuvent offrir aux spectateur un reflet de son propre monde. Quand le spectateur du XVIIème siècle voyait Britannicus et Néron sur la scène de théâtre, il voyait des personnages appartenant au passé.
A partir du XVIIIème siècle, le théâtre tend à se rapprocher du monde du spectateur à en offrir une représentation de plus en plus directe.
IV. Le texte de théâtre à l'épreuve de la crise du drame (1880 - 1910)
Cette crise du drame se joue dans la continuité, d'abord pour qu'il y est crise du drame il faut qu'il y est drame. Le drame a été inventé par Diderot, pour être mise en crise à la fin du XIXème siècle. La crise du drame se joue aussi dans la continuité parce que l'ambition réaliste qui s'est affirmé chez Diderot et chez Lessing est en quelques sorte approfondie à la fin du XIXème et début du Xxème siècle. On pourrait dire que cette ambition réaliste se fait exigence naturaliste.
On empreinte le mot « naturaliste » à Zola, que l'on connaît comme romancier. Il a aussi écrit des textes moins connus sur le théâtre de son époque où il exprime un désir de renouveau du théâtre, ce désir de renouveau du théâtre se situe dans la continuité de l'ambition réaliste formulée au XVIIIème siècle avec toutefois quelques différences, on a vu un approfondissement de l'ambition réaliste.
Qu'est ce qui distingue le naturalisme de Zola du réalisme tel qu'il est, inventé à l'époque de Diderot et de Lessing?
D'abord, l'ambition de Zola est de transféré sur la scène de théâtre d'une évolution qui a déjà eu lieu dans le cadre du roman. Il s'agit d'une nouveauté car c'est au XIXème siècle que le roman atteint son expansion, le roman est maintenant un genre dominant et Zola souhaite que le théâtre se transforme/renouvelle sur le modèle du roman plus précisément sur le modèle du roman naturaliste c'est à dire un roman voué à la description précise de la société contemporaine.
On attire notre attention sur ce point car c'est un phénomène récurrent au cours de l'histoire du théâtre, que le fait que le théâtre se renouvelle sous l'influence d'autres arts et au-delà c'est un phénomène qui convoie à l'oeuvre toutes les formes artistiques que leurs déplacements, enrichissements, renouvellement sous l'influence d'autres arts. On peut aussi évoquer la manière dont le théâtre se renouvelle tout aussi profondément sous l'influence du cinéma au début du XXème siècle, de la même manière dans le champ du cinéma où l'influence de l'art contemporain peut jouer un rôle déterminant pour le renouvellement des formes.
Deuxièmement, le naturalisme tel que le conçoit Zola a de l'ambition scientifique. On trouve dans les textes de Zola tout un vocabulaire scientifique (ex: il parle du sujet du roman expérimental). Le vocabulaire de l'expérience est bien le vocabulaire de la science, et il s'agit pour Zola de créer un roman et ensuite un théâtre qui décrivent scientifiquement la réalité contemporaine.
En France, le désir de renouveau qu'exprime Zola ne se traduit pas par l'écriture de nouvelles pièces de théâtre. On n'assiste pas, dans les années 1880 – 1910, à une émergence de nouveaux auteurs de théâtre.
Conclusion: d'une part l'influence du roman et d'autre part l'ambition scientifique.
En France, le renouveau du théâtre ne se joue pas dans le texte. Il se renouvelle sur scène, il s'y joue un phénomène essentiel pour notre propos et qu'on nomme l'invention de la mise en scène.
Le passage du texte à la scène a commencé à être pensé comme un travail artistique. Jusqu'alors on considérait qu'il n'y avait dans le champ du théâtre qu'un seul artiste, l'auteur des pièces de théâtres et le passage à la scène était considéré comme un simple élément technique, comme un simple travail artisanal. Ensuite, on considère désormais que le passage à la scène peut faire objet de choix esthétiques. Autrement dit, qu'il y a plusieurs manières de mettre en scène une pièce de théâtre. C'est une idée tout à fait nouvelle.
Dans les époques antérieures, toutes les pièces étaient représentées de la même manière, selon les mêmes codes (même type de décors, mêmes costumes, même type de jeu). Et du coup le passage à la scène ne faisait pas l'objet de différents choix possibles, il n'y avait qu'une seule manière de représenter une pièce. Cette invention de la mise en scène se joue autour de deux figures majeures et de deux figures opposées au latin du XIXème siècle : figure d'Antoine et figure de Lugné-Poe (ils sont les deux premiers metteurs en scène français).
1887 : Antoine fonde le Théâtre Libre.
1893 : Lugné-Poe fonde le Théâtre de l'Oeuvre.
Le Théâtre Libre d'Antoine met en oeuvre l'esthétique naturaliste, par exemple il va mettre en scène des romans de Zola qu'il adapte pour la scène.
Lugné-Poe est plutôt considéré comme le premier metteur en scène symboliste.
Antoine et Lugné-Poe ont pu mettre en scène les mêmes pièces. A la fin du XIXème, une même pièce peut faire l'objet de mises en scènes contradictoires, elle peut être mise en scène de manière naturalisme ou de manière symbolisme.
Bien sur, il y a exagération de dire que la mise en scène a été inventée en 1887 et qu'avant cette date celle-ci n'existait pas. En 1887, il y a quand même un homme de théâtre qui se qualifie de metteur en scène. Cet événement a connu des signes avant coureurs car tout au long du XIXème siècle on voit un certains nombres de signes qui préfigurent l'invention de la mise en scène. Tout au long du XIXème siècle, on voit une attention accrue au passage à la scène, c'est le résultat d'un mouvement progressif.
1) Une dramaturgie des auteurs :
Pendant cette période, il y a une crise du drame. Les auteurs de théâtre entendent porter à la scène des contenus nouveaux et ceux-ci les obligent à renouveler le drame tel que Diderot l'a fondé. Autrement dit, quand on parle de « crise du drame », il faut entendre que cette crise à une portée positive. C'est une crise qui permet au théâtre de se renouveler et auquel les auteurs répondent par une grande inventivité.
Dans les années 1880-1910, l'industrialisation a atteint un certain niveau où les villes se sont beaucoup agrandies et où l'individu est en quelque sorte perdu dans la masse. A partir de la fin du XIXème siècle, on se demande comment on peut faire entrer les masses sur la scène de théâtre. Cette période est aussi celle où née la psychanalyse, inventée par Freud. Ce que l'on doit retenir de la psychanalyse ce serait que les hommes ne décident pas de tous leurs actes mais que certains de nos actes ont des raison inconscientes qui tiennent à notre passé et notamment au passé qui a été vécu au passé de l'enfance. Cette idée nous intéresse car les auteurs de théâtres vont essayer d'accorder d'avantage d'importance au passé des personnages. Hors la forme dramatique traditionnelle n'est pas prête pour représenter le passé. Il existe déjà un genre pour représenter le passé, c'est l'épopée.
Au théâtre, la représentation du passé pose problème car sur une scène de théâtre nous voyons des acteurs agirent au présent devant nous. Le théâtre c'est la forme du présent. Cela suscite un renouvellement de la forme dramatique.
Quelques exemples d'auteurs de la crise du drame :
Maeterlink :
- Le Trésor des humbles(1896) : c'est un texte sur le théâtre. Dans ce texte, Maeterlink parle de la société contemporaine en soulignant qu'à son époque, à la fin du XIXème siècle, on ne rencontre plus tellement de héros vivant de grandes aventures. Cela oblige à redéfinir le tragique. Maeterlink nomme cette pièce un tragique quotidien c'est à dire un tragique dont chacun peut en faire l'expérience dans sa vie quotidienne.
- L'Intruse (1891) : est une pièce de théâtre. Qui est cette « Intruse » ? Il s'agit tout simplement de la mort. Ce que nous montre la pièce c'est l'attente de toute une famille qui est rassemblée, tandis que dans la chambre voisine se trouve la mère qui agonise qu'on ne verra jamais. L'attente se fait jusqu'au moment où la mère meurt. Cette mort n'a rien d'héroïque car la mère ne meurt pas dans un combat mais au sein d'une maladie.
L'argumentation de Maeterlink est une argumentation qui repose sur l'idée de réalisme.
Strindberg :
Là encore on met en rapport un texte théorique et une pièce de théâtre.
Vivisections (1887) :
Père (1882) : c'est l'histoire d'un homme que sa femme fait douter de sa paternité. Au début de la pièce, les deux parents sont en conflits sur l'éducation de leur fille. Face à ce conflit, la femme commence à insinuer dans l'esprit de son mari un doute sur sa paternité, doute qui conduit le personnage masculin jusqu'à la folie. A la fin de la pièce, le personnage masculin est enfermé dans une camisole de force. Il y a là un homme psychique.
Il raisonne de la même manière que Maeterlink en partant d'un constat sur la société contemporaine. Il écrit que dans la société de son époque, la lutte des muscles a laissé la place à la lutte des cerveaux. Il veut simplement noter que l'affrontement physique est moins fréquent et que les conflits entre les hommes se jouent sur les terrains du psychisme. Là encore, puisque la société a changé le théâtre se doit aussi de changer et de représenter ce changement. Strindberg en donne l'illustration avec Père.
2) Un moment d'hésitation dramaturgique :
Le théâtre des années 1880-1910 hésite entre d'une part le théâtre dramatique (c'est à dire le théâtre tel qu'il existe depuis Aristote et qui implique une représentation par l'action) et d'autre part le théâtre épique (théâtre qui est en quelque sorte inventé postérieurement. L'auteur de ce théâtre est Brecht. C'est un théâtre qui se développe au XXème siècle et qui est comparable à l'épopée c'est à dire un théâtre qui représente par la narration => cadre narratif à l'intérieur duquel des personnages agissent).
Le théâtre des années 1880-1910 se situe vraiment entre le théâtre dramatique et le théâtre épique c'est à dire que c'est un théâtre qui apporte une grande importance à la narration mais sans être pour autant narratif.
Ibsen :
- Maison de poupée (1879) / Nora, mis en scène par Thomas Ostermeier à la Schaubühne de Berlin (2002) :
- Les Revenants (1881) :
Où sont les choix esthétiques de Thomas Ostermeier ?
Il procède à une actualisation de la scène d'Ibsen, il ne s'agit pas seulement pour lui de montrer l'actualité de la pièce. La pièce est transposée à l'époque contemporaine, elle se joue dans un décor qui ressemble à un appartement et qui n'évoque en rien une maison bourgeoise de la fin du XIXème siècle. Le geste de mise en scène se lit aussi dans toute la partition muette avec l'entrée de Nora. Il a été obligé de réécrire la fin de la pièce d'Ibsen. Dans la version originale, Nora déserte la maison, ce qui a fait scandale à l'époque et aujourd'hui le départ de Nora n'aurait pas fait de scandale donc c'est pour cela qu'il a modifié la fin où Nora assassine son mari qui se retrouve ensuite dans l'aquarium.
V - Une dramaturgie de la rupture : Brecht et le théâtre épique
1) Une dramaturgie non aristotélicienne
La rupture de Brecht avec Aristote est relative car il continue d'accorder une place centrale à l'histoire. Il a une conception tout à fait différente de l'histoire que celle développée par Aristote.
Brecht défend l'idée d'une histoire qui au contraire fragmentée et ce qui vient interrompre ceci ce sont les changements de lieux, par des ellipses temporelles, des changements d'actions autrement dit il va à l'encontre de l'idée classique des trois unités (temps, lieu et action) et il fait l'éloge de l'interruption (par des cartons, des chansons, des personnages). L'idée de Brecht est que ces interruptions vont permettre de libérer le spectateur de l'attente du dénouement, il dresse un portrait un peu caricatural du spectateur qui serait juste en train d'attendre la fin de l'histoire. A cet intérêt pour le dénouement, Brecht entend substituer un intérêt pour le déroulement c'est à dire de permettre au spectateur de faire attention à la manière dont est construite la pièce de théâtre et du coup d'éveiller son esprit critique. Son idée est que tout ce qui se joue dans la pièce de théâtre va se prolonger dans le monde réel. C'est un théâtre qui a un projet politique qui ne passera pas par la délivrance d'un message mais qui repose sur la création d'un certain état d'esprit chez le spectateur.
VI – Questionnements contemporains
Pour comprendre cette partie, on revient à une traversée de toute l'histoire du théâtre. Il faut se souvenir de la comparaison qu'emploie Aristote dans La Poétique où il a recourt à l'image du bel animal qui est comparée à l'histoire tragique.
1) Du moderne au contemporain :
Ce qui se joue depuis l'époque moderne jusqu'à aujourd'hui c'est une sorte de mise à mort du bel animal ou un certains nombres de tentatives pour faire sortir le drame de sa peau de bel animal (harmonieux, cohérent et doté d'une unité interne). Parmi ces tentatives, un élément important est la fragmentation de la fable / de l'histoire c'est le cas chez Brecht mais aussi chez d'autres auteurs.
Büchner :
- Woyzeck (1836), mis en scène par Thomas Ostermeier pour le Festival d'Avignon en 2004.
C'est une pièce inachevée car Büchner est mort avant d'avoir fini d'écrire cette oeuvre donc il a laissé un certains nombres de fragments dont l'ordre est incertain. Du coup, le metteur en scène qui choisi de représenter cette oeuvre est d'une certaine manière obligé de se livrer à un véritable travail d'écriture puisqu'il lui faut faire un choix quant à l’agencement des fragments.
On peut voir dans l'adaptation d'Ostermeier une mise en scène gestuelle et il fait de l'acte de mise en scène une véritable oeuvre seconde au même titre que le texte de théâtre. La mise en scène témoigne d'une volonté d'actualisation que nous avons dans Nora. Tout évoque l'époque contemporaine (panneaux publicitaires, costumes des personnages et la baraque à frites). Le décor n'est pas seulement un décor réaliste car il y a une tension entre un travail réaliste sur l'époque contemporaine et la pauvreté de créer une aire de jeux où pourront apparaître d'autres dimensions de la pièce. Woyzeck n'est pas seulement une pièce qui décrit le monde contemporain, c'est aussi une pièce sur la folie et cette folie va pouvoir être exprimée dans cet espace creux qui place les personnages dont une position de déséquilibre physique.
Diderot et Lessing ont en commun de se situer du point de vue du spectateur, un spectateur dont ils saisissent l'expérience concrète et qu'ils ne considèrent plus seulement comme un horizon théorique comme c'était le cas, aussi bien dans La Poétique d'Aristote, que dans les textes du XVIIème siècle. Cela ne veut pas que c'est seulement au XVIIème siècle que l'on commence à se soucier du spectateur mais simplement que c'est au XVIIIème siècle que l'expérience du spectateur est saisie de manière concrète. Auparavant, aussi bien dans La Poétique d'Aristote que dans les textes du XVIIème siècle, la question du spectateur est abstraite car on n'envisage pas vraiment les conditions réelles de réception de la pièce de théâtre.
2) De la vraisemblance au réalisme
Au XVIIIème siècle, se joue un changement de régime de représentation. On passe d'un régime de représentation qui a été dominé par la vraisemblance à un régime de représentation qui est dominé par la volonté de représenter le monde extérieur. Nous nous situons toujours aujourd'hui dans le régime du réalisme.
Ce qui rend une histoire vraisemblable, au théâtre comme au cinéma, c'est l'enchaînement logique des actions, c'est à dire que la vraisemblance repose sur un critère de cohérence interne à la pièce de théâtre ou au récit.
A partir du XVIIIème siècle, le théâtre semble d'avantage s'ouvrir au monde extérieur, cela ne signifie pas que le critère de vraisemblance est brutalement abandonné mais s'y ajoute un soucis de représentation du monde réel/contemporain. Diderot met en particulier l'accent sur la nécessité pour le théâtre de mieux représenter la nature.
Le théâtre du XVIIIème siècle est aussi marqué par une volonté de représenter la société contemporaine ou de représenter la société du spectateur. Cette ouverture au monde extérieur va ensuite se traduire par une ouverture à l'Histoire, celle-ci se joue moins au XVIIIème siècle qu'au XIXème siècle, moins dans le drame bourgeois que dans le drame romantique qui lui succèdent.
A partir du XIXème siècle, nombre de pièces de théâtre vont prendre pour sujet une histoire non plus antique, comme c'était le cas dans le théâtre du XVIIème siècle, mais une histoire beaucoup plus récente. Concrètement, cela veut dire qu'à partir du XVIIIème siècle, vont encrer sur la scène de théâtre des personnages nouveaux et des personnages qui ne sont plus seulement nobles ou pas pour reprendre la distinction qui structure l'opposition entre tragédie et comédie, donc des personnages qui ne sont plus seulement nobles ou pas, mais des personnages qui ont une caractérisation socioéconomique plus précise, des personnages qui ont un métier et qui ont une condition sociale et qui pour cette raison peuvent offrir aux spectateur un reflet de son propre monde. Quand le spectateur du XVIIème siècle voyait Britannicus et Néron sur la scène de théâtre, il voyait des personnages appartenant au passé.
A partir du XVIIIème siècle, le théâtre tend à se rapprocher du monde du spectateur à en offrir une représentation de plus en plus directe.
IV. Le texte de théâtre à l'épreuve de la crise du drame (1880 - 1910)
Cette crise du drame se joue dans la continuité, d'abord pour qu'il y est crise du drame il faut qu'il y est drame. Le drame a été inventé par Diderot, pour être mise en crise à la fin du XIXème siècle. La crise du drame se joue aussi dans la continuité parce que l'ambition réaliste qui s'est affirmé chez Diderot et chez Lessing est en quelques sorte approfondie à la fin du XIXème et début du Xxème siècle. On pourrait dire que cette ambition réaliste se fait exigence naturaliste.
On empreinte le mot « naturaliste » à Zola, que l'on connaît comme romancier. Il a aussi écrit des textes moins connus sur le théâtre de son époque où il exprime un désir de renouveau du théâtre, ce désir de renouveau du théâtre se situe dans la continuité de l'ambition réaliste formulée au XVIIIème siècle avec toutefois quelques différences, on a vu un approfondissement de l'ambition réaliste.
Qu'est ce qui distingue le naturalisme de Zola du réalisme tel qu'il est, inventé à l'époque de Diderot et de Lessing?
D'abord, l'ambition de Zola est de transféré sur la scène de théâtre d'une évolution qui a déjà eu lieu dans le cadre du roman. Il s'agit d'une nouveauté car c'est au XIXème siècle que le roman atteint son expansion, le roman est maintenant un genre dominant et Zola souhaite que le théâtre se transforme/renouvelle sur le modèle du roman plus précisément sur le modèle du roman naturaliste c'est à dire un roman voué à la description précise de la société contemporaine.
On attire notre attention sur ce point car c'est un phénomène récurrent au cours de l'histoire du théâtre, que le fait que le théâtre se renouvelle sous l'influence d'autres arts et au-delà c'est un phénomène qui convoie à l'oeuvre toutes les formes artistiques que leurs déplacements, enrichissements, renouvellement sous l'influence d'autres arts. On peut aussi évoquer la manière dont le théâtre se renouvelle tout aussi profondément sous l'influence du cinéma au début du XXème siècle, de la même manière dans le champ du cinéma où l'influence de l'art contemporain peut jouer un rôle déterminant pour le renouvellement des formes.
Deuxièmement, le naturalisme tel que le conçoit Zola a de l'ambition scientifique. On trouve dans les textes de Zola tout un vocabulaire scientifique (ex: il parle du sujet du roman expérimental). Le vocabulaire de l'expérience est bien le vocabulaire de la science, et il s'agit pour Zola de créer un roman et ensuite un théâtre qui décrivent scientifiquement la réalité contemporaine.
En France, le désir de renouveau qu'exprime Zola ne se traduit pas par l'écriture de nouvelles pièces de théâtre. On n'assiste pas, dans les années 1880 – 1910, à une émergence de nouveaux auteurs de théâtre.
Conclusion: d'une part l'influence du roman et d'autre part l'ambition scientifique.
En France, le renouveau du théâtre ne se joue pas dans le texte. Il se renouvelle sur scène, il s'y joue un phénomène essentiel pour notre propos et qu'on nomme l'invention de la mise en scène.
Le passage du texte à la scène a commencé à être pensé comme un travail artistique. Jusqu'alors on considérait qu'il n'y avait dans le champ du théâtre qu'un seul artiste, l'auteur des pièces de théâtres et le passage à la scène était considéré comme un simple élément technique, comme un simple travail artisanal. Ensuite, on considère désormais que le passage à la scène peut faire objet de choix esthétiques. Autrement dit, qu'il y a plusieurs manières de mettre en scène une pièce de théâtre. C'est une idée tout à fait nouvelle.
Dans les époques antérieures, toutes les pièces étaient représentées de la même manière, selon les mêmes codes (même type de décors, mêmes costumes, même type de jeu). Et du coup le passage à la scène ne faisait pas l'objet de différents choix possibles, il n'y avait qu'une seule manière de représenter une pièce. Cette invention de la mise en scène se joue autour de deux figures majeures et de deux figures opposées au latin du XIXème siècle : figure d'Antoine et figure de Lugné-Poe (ils sont les deux premiers metteurs en scène français).
1887 : Antoine fonde le Théâtre Libre.
1893 : Lugné-Poe fonde le Théâtre de l'Oeuvre.
Le Théâtre Libre d'Antoine met en oeuvre l'esthétique naturaliste, par exemple il va mettre en scène des romans de Zola qu'il adapte pour la scène.
Lugné-Poe est plutôt considéré comme le premier metteur en scène symboliste.
Antoine et Lugné-Poe ont pu mettre en scène les mêmes pièces. A la fin du XIXème, une même pièce peut faire l'objet de mises en scènes contradictoires, elle peut être mise en scène de manière naturalisme ou de manière symbolisme.
Bien sur, il y a exagération de dire que la mise en scène a été inventée en 1887 et qu'avant cette date celle-ci n'existait pas. En 1887, il y a quand même un homme de théâtre qui se qualifie de metteur en scène. Cet événement a connu des signes avant coureurs car tout au long du XIXème siècle on voit un certains nombres de signes qui préfigurent l'invention de la mise en scène. Tout au long du XIXème siècle, on voit une attention accrue au passage à la scène, c'est le résultat d'un mouvement progressif.
1) Une dramaturgie des auteurs :
Pendant cette période, il y a une crise du drame. Les auteurs de théâtre entendent porter à la scène des contenus nouveaux et ceux-ci les obligent à renouveler le drame tel que Diderot l'a fondé. Autrement dit, quand on parle de « crise du drame », il faut entendre que cette crise à une portée positive. C'est une crise qui permet au théâtre de se renouveler et auquel les auteurs répondent par une grande inventivité.
Dans les années 1880-1910, l'industrialisation a atteint un certain niveau où les villes se sont beaucoup agrandies et où l'individu est en quelque sorte perdu dans la masse. A partir de la fin du XIXème siècle, on se demande comment on peut faire entrer les masses sur la scène de théâtre. Cette période est aussi celle où née la psychanalyse, inventée par Freud. Ce que l'on doit retenir de la psychanalyse ce serait que les hommes ne décident pas de tous leurs actes mais que certains de nos actes ont des raison inconscientes qui tiennent à notre passé et notamment au passé qui a été vécu au passé de l'enfance. Cette idée nous intéresse car les auteurs de théâtres vont essayer d'accorder d'avantage d'importance au passé des personnages. Hors la forme dramatique traditionnelle n'est pas prête pour représenter le passé. Il existe déjà un genre pour représenter le passé, c'est l'épopée.
Au théâtre, la représentation du passé pose problème car sur une scène de théâtre nous voyons des acteurs agirent au présent devant nous. Le théâtre c'est la forme du présent. Cela suscite un renouvellement de la forme dramatique.
Quelques exemples d'auteurs de la crise du drame :
Maeterlink :
- Le Trésor des humbles(1896) : c'est un texte sur le théâtre. Dans ce texte, Maeterlink parle de la société contemporaine en soulignant qu'à son époque, à la fin du XIXème siècle, on ne rencontre plus tellement de héros vivant de grandes aventures. Cela oblige à redéfinir le tragique. Maeterlink nomme cette pièce un tragique quotidien c'est à dire un tragique dont chacun peut en faire l'expérience dans sa vie quotidienne.
- L'Intruse (1891) : est une pièce de théâtre. Qui est cette « Intruse » ? Il s'agit tout simplement de la mort. Ce que nous montre la pièce c'est l'attente de toute une famille qui est rassemblée, tandis que dans la chambre voisine se trouve la mère qui agonise qu'on ne verra jamais. L'attente se fait jusqu'au moment où la mère meurt. Cette mort n'a rien d'héroïque car la mère ne meurt pas dans un combat mais au sein d'une maladie.
L'argumentation de Maeterlink est une argumentation qui repose sur l'idée de réalisme.
Strindberg :
Là encore on met en rapport un texte théorique et une pièce de théâtre.
Vivisections (1887) :
Père (1882) : c'est l'histoire d'un homme que sa femme fait douter de sa paternité. Au début de la pièce, les deux parents sont en conflits sur l'éducation de leur fille. Face à ce conflit, la femme commence à insinuer dans l'esprit de son mari un doute sur sa paternité, doute qui conduit le personnage masculin jusqu'à la folie. A la fin de la pièce, le personnage masculin est enfermé dans une camisole de force. Il y a là un homme psychique.
Il raisonne de la même manière que Maeterlink en partant d'un constat sur la société contemporaine. Il écrit que dans la société de son époque, la lutte des muscles a laissé la place à la lutte des cerveaux. Il veut simplement noter que l'affrontement physique est moins fréquent et que les conflits entre les hommes se jouent sur les terrains du psychisme. Là encore, puisque la société a changé le théâtre se doit aussi de changer et de représenter ce changement. Strindberg en donne l'illustration avec Père.
2) Un moment d'hésitation dramaturgique :
Le théâtre des années 1880-1910 hésite entre d'une part le théâtre dramatique (c'est à dire le théâtre tel qu'il existe depuis Aristote et qui implique une représentation par l'action) et d'autre part le théâtre épique (théâtre qui est en quelque sorte inventé postérieurement. L'auteur de ce théâtre est Brecht. C'est un théâtre qui se développe au XXème siècle et qui est comparable à l'épopée c'est à dire un théâtre qui représente par la narration => cadre narratif à l'intérieur duquel des personnages agissent).
Le théâtre des années 1880-1910 se situe vraiment entre le théâtre dramatique et le théâtre épique c'est à dire que c'est un théâtre qui apporte une grande importance à la narration mais sans être pour autant narratif.
Ibsen :
- Maison de poupée (1879) / Nora, mis en scène par Thomas Ostermeier à la Schaubühne de Berlin (2002) :
- Les Revenants (1881) :
Où sont les choix esthétiques de Thomas Ostermeier ?
Il procède à une actualisation de la scène d'Ibsen, il ne s'agit pas seulement pour lui de montrer l'actualité de la pièce. La pièce est transposée à l'époque contemporaine, elle se joue dans un décor qui ressemble à un appartement et qui n'évoque en rien une maison bourgeoise de la fin du XIXème siècle. Le geste de mise en scène se lit aussi dans toute la partition muette avec l'entrée de Nora. Il a été obligé de réécrire la fin de la pièce d'Ibsen. Dans la version originale, Nora déserte la maison, ce qui a fait scandale à l'époque et aujourd'hui le départ de Nora n'aurait pas fait de scandale donc c'est pour cela qu'il a modifié la fin où Nora assassine son mari qui se retrouve ensuite dans l'aquarium.
V - Une dramaturgie de la rupture : Brecht et le théâtre épique
1) Une dramaturgie non aristotélicienne
La rupture de Brecht avec Aristote est relative car il continue d'accorder une place centrale à l'histoire. Il a une conception tout à fait différente de l'histoire que celle développée par Aristote.
Brecht défend l'idée d'une histoire qui au contraire fragmentée et ce qui vient interrompre ceci ce sont les changements de lieux, par des ellipses temporelles, des changements d'actions autrement dit il va à l'encontre de l'idée classique des trois unités (temps, lieu et action) et il fait l'éloge de l'interruption (par des cartons, des chansons, des personnages). L'idée de Brecht est que ces interruptions vont permettre de libérer le spectateur de l'attente du dénouement, il dresse un portrait un peu caricatural du spectateur qui serait juste en train d'attendre la fin de l'histoire. A cet intérêt pour le dénouement, Brecht entend substituer un intérêt pour le déroulement c'est à dire de permettre au spectateur de faire attention à la manière dont est construite la pièce de théâtre et du coup d'éveiller son esprit critique. Son idée est que tout ce qui se joue dans la pièce de théâtre va se prolonger dans le monde réel. C'est un théâtre qui a un projet politique qui ne passera pas par la délivrance d'un message mais qui repose sur la création d'un certain état d'esprit chez le spectateur.
VI – Questionnements contemporains
Pour comprendre cette partie, on revient à une traversée de toute l'histoire du théâtre. Il faut se souvenir de la comparaison qu'emploie Aristote dans La Poétique où il a recourt à l'image du bel animal qui est comparée à l'histoire tragique.
1) Du moderne au contemporain :
Ce qui se joue depuis l'époque moderne jusqu'à aujourd'hui c'est une sorte de mise à mort du bel animal ou un certains nombres de tentatives pour faire sortir le drame de sa peau de bel animal (harmonieux, cohérent et doté d'une unité interne). Parmi ces tentatives, un élément important est la fragmentation de la fable / de l'histoire c'est le cas chez Brecht mais aussi chez d'autres auteurs.
Büchner :
- Woyzeck (1836), mis en scène par Thomas Ostermeier pour le Festival d'Avignon en 2004.
C'est une pièce inachevée car Büchner est mort avant d'avoir fini d'écrire cette oeuvre donc il a laissé un certains nombres de fragments dont l'ordre est incertain. Du coup, le metteur en scène qui choisi de représenter cette oeuvre est d'une certaine manière obligé de se livrer à un véritable travail d'écriture puisqu'il lui faut faire un choix quant à l’agencement des fragments.
On peut voir dans l'adaptation d'Ostermeier une mise en scène gestuelle et il fait de l'acte de mise en scène une véritable oeuvre seconde au même titre que le texte de théâtre. La mise en scène témoigne d'une volonté d'actualisation que nous avons dans Nora. Tout évoque l'époque contemporaine (panneaux publicitaires, costumes des personnages et la baraque à frites). Le décor n'est pas seulement un décor réaliste car il y a une tension entre un travail réaliste sur l'époque contemporaine et la pauvreté de créer une aire de jeux où pourront apparaître d'autres dimensions de la pièce. Woyzeck n'est pas seulement une pièce qui décrit le monde contemporain, c'est aussi une pièce sur la folie et cette folie va pouvoir être exprimée dans cet espace creux qui place les personnages dont une position de déséquilibre physique.