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Exposé L’adaptation cinématographique des « Les Liaisons Dangereuses ». Mme Dimopoulou (mardi 12h-14h30)

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Léa Chantel


Petit joueur, mauvais élève.
Petit joueur, mauvais élève.

L’adaptation cinématographique « Dangerous Liaisons » à partir du roman « Les Liaisons Dangereuses »

INTRODUCTION

« Ce livre, s’il brûle, ne peut brûler qu’à la manière de la glace ». C’est du moins ce que pensait Baudelaire des Liaisons dangereuses (sous-titré : lettres recueillies dans une société et publiées pour l’instruction de quelques autre), roman épistolaire écrit de la main de Pierre Choderlos de Laclos et paru en 1782. Cette œuvre littéraire majeure du XVIIIe siècle, et néanmoins extrêmement choquante pour les mœurs de l’époque, tomba durant un siècle dans l’oubli avant de susciter, dès le début du 20ème siècle, un nouvel engouement de la part du public, donnant même naissance à des adaptations filmées du récit.
Cet ouvrage est construit sur la base de correspondances croisées entre les différents protagonistes du roman, afin de construire un drame en quatre étapes, dont le dénouement reste moralement ambigu et de ce fait fascine les lecteurs. En 1988, Stephen Frears sort une adaptation cinématographique de l’œuvre, fruit d’un travail de lecture, de réflexion puis de réécriture d’un scénario dont l’adaptation s’oppose au scénario original. C’est ainsi que cela fonctionne dans la pratique cinématographique, tout en sachant se servir des différents éléments et moyens à disposition du réalisateur.
Les subtilités et contraintes du roman épistolaire rendent difficile la construction cinématographique qui doit se montrer intelligente pour ne pas perdre le fil de l’intrigue ni les points essentiels qui ressortent de l’œuvre telle qu’elle fut écrite par l’auteur ; c’est en ce sens que l’on peut se demander si cette adaptation de Frears est fidèle au roman, et quelles sont les difficultés qui peuvent mettre à l’épreuve le 7ème art face à la littérature.

Dans un premier temps, nous nous pencherons sur les caractéristiques et spécificités de ce roman, que ce soit dans le style épistolaire ou dans le fond –milieu mondain- pour ensuite étudier et comparer avec l’adaptation filmée de Frears.

I) ROMAN

Afin de comprendre une œuvre, il est sans nul doute nécessaire de se pencher sur certains aspects de la vie de l’auteur, tant la connaissance que nous avons de lui peut nous éclairer sur son œuvre et ses ambitions. P-C de Laclos, né en 1741, était un militaire sans illusions sur les relations humaines avant d’être un écrivain caractérisé comme amateur. Cependant, malgré sa vision assez pessimiste sur l’homme, il eut l’audace d’avoir comme projet phare de
« faire un ouvrage qui sortît de la route ordinaire », et c’est ce que le public lui reconnaît aujourd’hui, tant son œuvre bouleversa les mœurs de l’époque et tant il prit soin de dépeindre une société rongée par le vice et le libertinage, qui perverti les bienfaits des lumières et s’oppose à l’amour comme au hasard, et surtout à la religion et à la morale. Grâce à sa maitrise de l’intrigue et à la pertinence avec laquelle il insinue ses critiques (à but moraliste) vis à vis de la société de l’époque, Laclos donna naissance à une œuvre qui est aujourd’hui une des plus connues.

« Les Liaisons dangereuses » s’insère dans une certaine strate de la société du 18ème, ou les anciens amants libertins, la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont, se livrent à une histoire de pouvoir, de séduction, de manipulation et d’apparence. A travers cette intrigue, les deux sexes se jettent dans une bataille sans merci, sans aucune pitié pour leurs victimes, la jeune Cécile de Volanges et la chaste et pieuse Présidente de Tourvel.
Constitué de 175 lettres miroir de toutes les pensées, toutes les actions et désirs intimes, le récit se focalise donc sur le duel pervers de ces deux aristocrates manipulateurs, libertins et mondains, assassins du siècle des lumière, dont le sort de leurs victimes n’est jamais laissé au hasard. Ce récit dévoile de ce fait différents types de personnages, dont les différences face au mode de vie comme au style de pensée et de réflexion mettent en lumière les failles d’un haut milieu social perverti au nom de la vertu.

Tout d’abord, ce sont les deux meneurs de jeu qui sont le plus mis à nu, tant dans leur plan diaboliquement bien roué que dans leurs failles les plus intimes.
Mme de Merteuil représente l'aristocrate libertine de l'époque Louis XV. Intelligente et cultivée, elle a fait son éducation par ses propres moyens. Son personnage choque et fascine a la fois par son assurance et son charisme mais aussi pour ses acuités mentales supérieures qui, à l’époque, sont réservées aux hommes. Cela se ressent surtout dans l’énergie qu’elle met à vouloir à tout prix dominer les hommes et de mener le jeu du début à la fin, sans jamais se laisser le droit à l’erreur ou un moment de répit. Son existence se résume à une tentative de vengeance de son sexe, au moyen de l’hypocrisie et de l’apparence, la marquise se joue des hommes (mais aussi des femmes) tout en préservant son intégrité, son honneur et son rang sous des apparences de femme vertueuse. Elle est extrêmement ingénieuse quant aux stratagèmes machiavéliques qu’elle entreprend, par exemple pour se venger Compte Gercourt, qui doit se marier avec Cécile de Volanges, qui sera pervertie sur la voie de la débauche par le séducteur Valmont. Cependant, sa fin est sans doute la plus cruelle, à la hauteur de ses actes, puisqu’elle est humiliée en public, doit se rendre à un procès et termine rongée par la petite vérole.
Son fidèle ami et ancien amant, Valmont, est une sorte de Don Juan manipulateur, sans scrupules, très cruel, hypocrite comme Merteuil, et jouissant dans l’infliction du malheur à autrui. Naturellement, il ne croit pas en Dieu et blasphème même le langage religieux afin de l’utiliser pour relater ses conquêtes et autres exploits sexuels. Son existence n’est rythmée ni par l’amour ni par la tendresse. Il n’est qu’un libertin égoïste et fier, qui trompe et déshonore les femmes rien que pour le plaisir d’infliger la souffrance, mais aussi de séduire et plaire. Sa relation avec la Marquise reste ambiguë, entre séduction et rivalité, pouvoir et domination. Lors du chantage de cette dernière, il agit intelligemment et sournoisement dans le but de séduire Tourvel, mais il se perd dans le jeu de l’amour, et gâche tout a cause de sa vanité, perdant ainsi celle qu’il aime, ce qui provoquera sa mort, dans un ultime geste de courage (la remise des lettres a Gercourt, que le voile soit levé et la vérité faite sur la Marquise).

Ensuite, ces deux acteurs d’une tragédie bien sombre s’acharnent sur leurs victimes, en premier lieu la Présidente de Tourvel, qui représente pour Laclos l’idéal bourgeois et la vertu associée à la religion. Cette femme pieuse, dévouée à la raison et à Dieu, est aussi une femme sincère et sensible, mais qui est trop innocente et trop bonne, ce qui la perd lorsqu’elle tombe dans le piège de Valmont, ayant cependant tenté de lui résister avec force et fermeté, car c’est aussi une femme fière et orgueilleuse. Elle déplace son amour de Dieu au Vicomte, perd sa sagesse et sacrifie son existence pour l’homme qu’elle aime, jusqu’à la mort.

La jeune Cécile de Volanges, quant à elle, est une fille naïve, honnête, jolie, sensuelle, qui sort du couvent et ne connaît rien d’autre que cette vie recluse et chaste, alors qu’elle tente de percer dans le monde (le récit s’ouvre sur une lettre rédigée de sa main). Elle n’a pas de qualités intellectuelles, son charme étant purement physique ; c’est une rêveuse et plus encore le stéréotype de la sotte ingénue. Son innocence est vite corrompue à la sortie du couvent, puisqu’elle tombe entre les grippes du Vicomte ET de la Marquise et se livre à la débauche. Elle tombe amoureuse du Chevalier Danceny, homme peu fortuné mais noble de titre, qu’elle rencontre grâce à la marquise, et lui aussi tombe passionnément amoureux. Jeune et naïf, il est berné par la marquise qui se présente comme son amie, et par Valmont qui lui se donne le statut de confident. Tous deux lui font croire qu’ils vont l’aider à entretenir son amour avec la jeune Cécile, alors que Valmont va abuser de Cécile et la marquise le manipuler. C’est lui qui se bat en duel avec Valmont et le tue.

Enfin, un troisième type de personnages se dessine, entre victimes et bourreaux, ce sont les témoins abusés. Madame de Rosemonde, la tant de Valmont, incarne les valeurs de l'ancien régime, avec un caractère pieux, entre fermeté et affection. C'est sous son propre toit que son neveu se livre à ses actes de perversion, notamment en séduisant la Présidente de Tourvel, pour qui elle est une fidèle confidente, Elle comprend hélas trop tard que la présidente est en fait attirée et plus encore amoureuse de Valmont, et tente de la ramener sur la voie religieuse, caractérisée par la vertu et la fidélité. C’est elle qui recueille toutes les lettres à la religion et à la fidélité. À la fin, elle joue un rôle clé en recueillant toutes les lettres des protagonistes (de l’affaire) et s'assurera que ses amies soient protégées du scandale avant de retourner à sa vie dévote.
Quant à la mère de Cécile, c’est une femme peu intéressante et sans grande capacité de discernement, qui arrange l’union de sa fille avec Gercourt. Amie de Merteuil, elle l’est aussi avec la Présidente qu’elle met en arde contre Valmont, dont elle connaît bien les vices. Lorsqu’elle apprend, choquée et troublée, l’existence d’une relation amoureuse entre sa fille et Danceny, Merteuil se sert de son désarroi pour lui conseiller d’envoyer sa fille afin de l’écarter du danger, alors que le réel danger est Valmont, qui ne mettre que peu de temps à la séduire.



Bien connaître et cerner les personnages est certes important, mais le genre du roman doit être étudié pour en envisager toutes les possibilités d’adaptations. Le roman épistolaire se caractérise par un récit composé d’une correspondance fictive ou non entre plusieurs personnages. Dans la forme, les chapitres sont généralement basés sur les lettres écrites. On comprend que pour un auteur qui voulait sortir de la route ordinaire, le genre épistolaire l’ai convaincu. En effet, c’est plonger au cœur des personnages que de mettre à nu leurs écrits intimes. C’est un récit polyphonique qui frappe par la violence des situations relatées, mais aussi par la diversité et les variances entre les différentes lettres. Le style comme le langage varient en fonction de l’épistolier. C’est là le meilleur moyen de cerner et comprendre la psychologie et personnalité de chacun, en se plongeant dans ses mots. Les points de vue sont multiples, mais la langue est maîtrisée (la correspondance entre les deux libertins montre bien leur talent et leur virtuosité).
Les lettres sont donc porteuses de plusieurs sens et fonctions dans ce roman, dans un temps elles rythment et font avancer l’action en nous dévoilant au fur et à mesure l’intrigue. Dans un second temps, elles sont aussi les miroirs des personnages et un instrument de séduction proposant différentes interprétations d’un même évènement, puisqu’elles mêlent les points de vue, ce qui crée un fort potentiel dramatique. Laclos joue lui aussi un double jeu très ambigu, comme ses deux prédateurs vedettes, il avance masqué, se servant de ces jeux d’échanges et de circulation pour nous orienter sur une réflexion portée sur la morale, la religion, le Bien et le Mal ainsi que l’amour opposé à l’orgueil. Son cheminement est donc étrange et sa pensée dérange, tant par le message qu’il passe que par sa manière de le transmettre, de façon très froide tout de même. Les deux préfaces contradictoires le démontrent bien, ainsi que les notes ironiques ajoutées au récit.
Le silence joue un rôle important dans le sens ou il enferme le récit dans un néant assez froid et malsain, tantôt éclairé, et ce n’est pas réellement dans la parole qu’apparaît la vérité. C’est donc que la construction se rapproche parfois du théâtre, les lieux et objets jouant un rôle important et symbolique. On retrouve dans ce récit la structure d’une tragédie (unité d’action –rivalité entre les 2 libertins, unité de lieu –grand théâtre du monde- et unité de temps -5mois et demi, rapide-)
Enfin, l’absence de narrateur principal fait du lecteur le seul juge de ce récit, voué à son propre libre arbitre, ses propres émotions ainsi que sa morale. C’est à lui de se construire sa propre opinion sur les personnages, sa pensée n’est pas déterminée ni orientée dans tel ou tel sens, puisque c’est l’ensemble des lettres qui est à sa disposition. De ce fait, il peut donc mesurer par lui même la naïveté et l’innocence des victimes, la cruauté, le cynisme et la duplicité des libertins, tout en savourant ou s’insurgeant face à l’ironie ou à la dureté des situations.

Ce roman, si complexe et construit de manière très particulière, suppose donc que l’adaptation devrait rester neutre et pour le moins fidèle aux traits les plus importants de l’intrigue. Mais le cinéma a t-il les capacités, les moyens et les qualités pour répondre à cette attente ?



II) L’ADAPTATION CINEMATOGRAPHIQUE

PRESENTATION DU FILM ET DU REALISATEUR :
Stephen Frears est un réalisateur, acteur, et producteur britannique. Il a réalisé le film « Dangerous liaisons » en 1988, qui est l’adaptation de la pièce de Christopher Hampton et du roman de Laclos. Pour renforcer son choix d’adaptation, il a choisi judicieusement une brochette d‘acteurs : Madame de Merteuil est interprétée par Glenn Close, le Vicomte de Valmont par John Malkovich, Mme de Tourvel par Michele Pfeiffer, qui a été récompensée pour le meilleur second rôle féminin en 1990 par la British Academy Awards, le Chevalier Danecy par Keanu Reeves et Cécile de Volanges par Uma Thurman.
Ce film a obtenu l'Oscar du meilleur scénario, des meilleurs décors, des meilleurs costumes en 1989 et le César du meilleur film étranger en 1990.

ORIGINE DU FILM :
C'est au cours de ses études à Oxford que Christopher Hampton eut envie d'écrire une adaptation théâtrale du texte de Laclos. Le passage du roman épistolaire au théâtre lui semblait être un véritable travail de réécriture et de composition très intéressant. En effet, il s'agit de passer du type de communication unidirectionnelle à un discours reproduisant l'échange d'une conversation réelle.
Puis, avec la collaboration de Stephen Frears, ils veulent l’adapter au cinéma. Mais d’autres projets similaires, tel que « Valmont » de Forman, se sont montés en même temps. Ainsi, Hampton a dû rédiger rapidement un projet de scénario, écrit d’après le roman et non d’après sa pièce, pour réaliser « Dangerous Liaisons ». Aussi la dimension de la double énonciation (production du texte et sa réception) propre au spectacle de théâtre et au récit épistolaire rend cette adaptation difficile au cinéma.

CONSEQUENCES DU GENRE DANS L’ADAPTATION :
Transposer au cinéma l’œuvre de Laclos relève d’une grande difficulté en raison des spécificités de l’œuvre. En effet, son caractère épistolaire a un certain nombre de conséquences :

o La multiplication des voix narratives :
Les personnages majeurs sont des narrateurs et c’est l’ordre et l‘agencement des lettres qui permettent au lecteur de reconstituer la succession des événements diégétiques, mais aussi d’apprécier la différence et la distance des points de vue. Tout cela aboutit à cette « vision stéréoscopique » que le cinéma, paradoxalement, est dans l’incapacité de restituer.

o Jeux de lettres :
Aussi, le passage de la lettre à la mise en scène permet de jouer sur un autre rapport au temps. Si le roman de Laclos joue sur l'absence des destinataires, Frears dans son adaptation filmique, va au contraire joué sur le face à face des personnages. Le roman de Laclos peut se lire comme un perpétuel jeu de cache-cache et de rendez-vous manqués dans la correspondance des deux libertins. L’adaptateur n’a guère d’autre choix que de les rapprocher, et de modifier, non pas la géographie du roman, mais l’usage qui en est fait. En effet, le principe même de la relation épistolaire réside dans l'absence des personnages, la communication est alors différée, alors que le film permet une relation immédiate et spontanée. Ce genre épistolaire bouleverse nécessairement la chronologie cinématographique.

De plus, il y a d’autres tentatives pour respecter les mœurs de l’époque et le style épistolaire.
En effet, le film nous montre ces correspondances. Le réalisateur fait apparaître quelques scènes où des personnages écrivent, comme Valmont, sur le dos de sa maîtresse, à Mme de Tourvel ou comme Cécile de Volanges en pleurs écrivant à Mme de Merteuil.
Enfin, il y a aussi le plan du générique sur fond noir, montrant les mains de la Marquise, décachetant une lettre sur laquelle est écrit le titre. Tous ces éléments ont permis à Frears de bâtir une mise en scène particulière autour de la lecture.

o La langue :
Une autre particularité du roman de Laclos, c’est la référence constante à la langue et à la littérature. Le plaisir est toujours lié au discours : les deux libertins assoient leur supériorité sur un talent rhétorique et stylistique qu’ils ont forgé grâce à leurs lectures.
De plus, le texte se présente comme constamment référentiel. En effet deux ouvrages épistolaires majeurs sont constamment cités (« La Nouvelle Héloïse » de J.J Rousseau, et « Clarisse Harlowe » de Samuel Richardson), d’autres apparaissent aussi au fil des pages tels que ceux de La Fontaine, Crébillon, Voltaire, Racine…

Mais l’arrière-plan littéraire construit par Laclos dans son roman a été déplacé par Frears vers le domaine du théâtre et de l’opéra. Il y institue un jeu de miroirs permanent entre spectacle et spectateurs. En effet, l’ouverture du film fait clairement comprendre que Merteuil et Valmont se préparent, comme des comédiens, à jouer leur rôle. Ces deux scènes muettes, présentées en montage alterné, insistent sur le choix de Frears de vouloir privilégier la relation entre ces deux personnages. De plus, quatre scènes d’opéra ponctuent d’ailleurs le film.

o Références cinématographiques :
De même que Laclos bâtit son roman à partir d’autres œuvres littéraires, Frears a dans l’esprit quelques œuvres cinématographiques de référence en travaillant celui-ci.
Il évoque le film « à costumes » en référence à « la Prise du pouvoir par Louis XIV » (Roberto Rossellini, 1966) et fait référence aussi à « Barry Lyndon »(Stanley Kubrick,1975).
Par ailleurs, Frears s’est inspiré du film noir américain et en particulier de « Double Indemnity ». Grâce à cela, sa conception qu’il se fait du personnage de Merteuil à été éclairé par l’interprétation de Barbara Stanwyck, qui y incarne une femme fatale, La référence au film noir indique aussi la volonté du réalisateur de faire un film qui, tout en restant ancré dans le XVIIIe siècle, ait des résonances modernes.

o Acteurs et personnages :
Le texte de Laclos ne donne que très peu d’indications sur l’identité et l’apparence des personnages. La plupart ne sont même pas dotés d’un prénom. Quelques indications en revanche sur la situation sociale des uns et des autres. Alors que le film caractérise beaucoup plus les personnages et leurs relations.
Par ailleurs, si Gercourt devient le film " Bastide", c'est tout simplement pour des raisons linguistiques : " les acteurs américains n'arrivaient pas à prononcer son nom

o Lieux et décors :
Le roman de Laclos se montre fort peu descriptif et n’encourage guère l’imagination visuelle du lecteur. Évidemment, le cinéma ne peut se contenter tout à fait de ce flou. Le film s’est tourné en France, dans plusieurs châteaux de la région parisienne, ce choix est significatif et inévitable a la continuité du roman.
Aussi, Frears avait demandé de se servir le plus possible de la lumière naturelle, qui passait par les baies vitrés. Ce qui explique une dominante bleutée, plutôt froide, accentuée par la couleur des costumes, du maquillage et des décors. On obtient ainsi une image très lumineuse, qui rappelle souvent le pastel ou la porcelaine, et qui contraste avec la noirceur des personnages ou la violence des sentiments.

LES CHANGEMENTS OPERES PAR FREARS :

- Une mise en place de l'intrigue très rapide : En effet, la correspondance de Mme de Merteuil et du Vicomte de Valmont annonce progressivement la trame de l’histoire. Contrairement au film, où l’intrigue est expliquée dans les 10 premières minutes du film.

- Les événements ne s'enchaînent pas de la même façon : Comme nous l’avons expliqué précédemment, la distance est gommée : la réponse à une lettre est différée pour le lecteur par plusieurs lettres alors que les choses se passent tout autrement dans le film. Par exemple, un plan nous montre Cécile en train d'écrire à Mme de Merteuil et le plan suivant nous montre Mme de Merteuil en train de lire cette lettre avec la voix-off de Cécile. Ce qui permet une continuité narrative plus cohérente et compréhensible.

- Le film réécrit des situations :
- La scène de l'opéra qui réunit dans sa loge Mme de Merteuil, Cécile et sa mère, n'existe pas dans le roman.Frears exploite, aussi, le non-dit du roman au sujet de la rencontre Danceny - Cécile. En effet dans le roman Cécile raconte dans une lettre qu'elle a un nouveau maître de chant; elle ne dit rien de plus. Il a exploité l'implicite de cette situation et a fait de Mme de Merteuil une entremetteuse, puisque c'est elle qui présente Danceny à Cécile, pendant l’opéra et qui propose à Mme de Volanges de l'engager comme maître de musique pour sa fille.




- Une action plus resserrée : On peut voir que Frears a opéré la suppression des intrigues annexes. La longueur du roman a engendré ces suppressions.
. L'aventure de Mme de Merteuil avec Prévan est occultée, car elle n’attise pas la jalousie de Valmont.
Ce qui dans le film est mis en avant.
. Le mariage de Cécile est d'emblée prévu pour janvier alors que, dans le roman, il est d'abord prévu pour août, puis est repoussé à octobre et enfin reporté à janvier.
Ce contretemps n'a aucune importance, si ce n'est qu'il nous en apprend plus sur le personnage Gercourt. Or, dans le film, le personnage n'a pas d'importance.
.L'intrigue amoureuse Cécile - Danceny est beaucoup moins développée que dans le roman, elle reste très secondaire.

.La mort de Valmont ne donne pas lieu à des commentaires. Ainsi la relation entre Danceny et Mme de Rosemonde n'est pas retenue dans le film.
. L'avenir de Cécile n'est pas envisagé, pas plus que celui de Danceny : la dernière fois que l'on aperçoit Cécile c'est juste après la mort de Mme de Tourvel, quant à Danceny, c'est lorsqu'il se rend au chevet de Mme de Tourvel juste après le duel. 


De plus, le film ne fait référence qu’à certaines lettres:
 environ 44 sur les 173 du roman sont intégrés dans l’adaptation. En effet, Cécile ne correspond pas dans le film avec Sophie : elle a donc comme seule confidente Mme de Merteuil. Par ce procédé, Frears a voulu insister sur l'influence que la Marquise exerce sur elle et par cela, centré l’intrigue sur les personnages principaux.

- On constate une accélération à la fin du film : Effectivement, les scènes s'enchaînent très vite : la mort de Valmont, suivie immédiatement de la mort de Mme de Tourvel, suivie de la réaction de colère et de souffrance de Mme de Merteuil à l'annonce de la mort de Valmont, suivie de la scène de l'opéra et enfin la scène finale, Mme de Merteuil seule devant son miroir...

- Un regard différent sur les personnages :
Les regrets de Mme de Tourvel, de s'être donnée à, Valmont ne sont pas aussi marqués que dans le roman. Le film reste discret, ne fait pas trop référence à sa souffrance éprouvée.
En revanche, Il insiste sur les regrets de Valmont d'avoir quitté Mme de Tourvel. En effet, Valmont est plus "humanisé" dans le film, il est moins machiavélique que dans le roman

Aussi, en ne respectant pas la fin du roman de Laclos, Frears donne une autre dimension à Mme de Merteuil. Dans l’œuvre de Laclos, elle est socialement rejetée de tous, matériellement ruinée et physiquement enlaidie par la petite vérole. Pour échapper à l'outrage de la société parisienne, elle fuit en Hollande.
Dans l’adaptation de Frears, la dernière scène nous montre la marquise de retour de l'opéra, devant sa glace, seule, en train de se démaquiller. Elle a fini de jouer son rôle, elle n'a plus d'image à donner d'elle-même, elle a été démasquée. Frears, en décidant de laisser intacte sa beauté, lui donne une autre dimension, celle d'une femme qui prend conscience de qui elle est vraiment et qui pleure peut-être sur elle-même. C’est Glenn Close qui a suggéré la scène du démaquillage, face au miroir, qui répond à la fois à la séquence d’ouverture et au mot d’esprit de la dernière lettre : « à présent son âme était sur sa figure ».




CONCLUSION

S’il brule de glace, Les liaisons dangereuses de Laclos est avant tout une œuvre littéraire, qui trouve sa force dans son style, ce qui la place au rang d’œuvre majeure qui peut, dans le fond comme dans la forme, marquer les générations les unes après les autres, grâce à son originalité de construction, ses procédés stylistiques autant que la société dépeinte. Laclos est maître du genre et laisse le lecteur déboussolé d’avoir lu tant d’actes immondes et en opposition avec l’idée que l’on se fait du Bien.


C’est donc une œuvre majeure du XVIIIème siècle, qui a marqué de longues générations par son procédé stylistique et son originalité de construction. En effet, Laclos est ici maitre du genre épistolaire : chaque personnage diffère des autres par un style spécifique. De plus, il s’est servi de cette construction qui est en accord avec le dévelopemment du thème et la progression de l’intrigue se dévoilant au fur et à mesure des lettres Ces éléments font que l’adaptation de ce chef d’œuvre était un challenge. Pourtant bien repris par d’autres réalisateurs, l’adaptation de Stephen Frears reste une des plus fidele au roman malgré ses impossibilités à reproduire ce genre. Il s’est servi des correspondances et des jeux de lecture du roman pour créer une mise en scène basé sur l’écriture et la lecture.
Il a cependant opéré quelques changements indispensables à la continuité narrative et temporelle du récit.

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